Les controverses de la parentalité et la fonction socioéducative des crèches-garderies

Toujours rejeté par le correcteur orthographique du traitement de texte, usuel, auquel nous avons recours, le mot français « parentalité » est certes récent, datant de 1985 selon le dictionnaire Petit Robert, qui l’admet depuis une dizaine d’années. Ce mot, et les enjeux dont il est porteur – le premier d’entre eux reposant sans doute sur l’idée, pour paraphraser Simone de Beauvoir, qu’on ne naît pas parent mais qu’on le devient – aura connu un rapide engouement. Y compris dans l’innovation terminologique; voici la parentalité enrichie de préfixes qui donneront la co-parentalité, la mono-parentalité, la beau-parentalité, l’homo-parentalité, voire la grand-parentalité, sans compter la dérive humoristique douteuse du « parent-alité ».

Le terme de parentalité, « un invariant impossible à ignorer » selon la formule de Greslier (2007, p. 12) s’inscrit désormais comme une sorte d’évidence dans le discours sur les finalités et sur les pratiques du travail socioéducatif, avec son affinement, tel que le proposent les projets de soutien à la parentalité, ou, avec davantage de souci d’afficher l’autonomie des familles, de soutien à l’exercice de la parentalité.

Toute évidence étant bonne à questionner, cet article se propose dans un premier temps de brièvement évoquer, au risque de bien des raccourcis, quelques controverses dont fait l’objet ce terme, puis de présenter quelques résultats d’une enquête que nous avons menée auprès de professionnelles[1] de la petite enfance sur la réception, et leurs conséquences, en termes de travail au quotidien, de demandes que leur adressent les parents usagers de crèches-garderies (Meyer, Spack et al., 2009).

La parentalité une notion aux résonances multiples

Bien des notions sont propices à une opération classificatoire. C’est ainsi que Houzel (1999) met en évidence l’exercice de la parentalité, qui désigne les droits et les devoirs de la fonction parentale, l’expérience de la parentalité, qui traduit les différentes façons de vivre cette fonction, et la pratique de la parentalité, qui correspond aux tâches propres à la vie quotidienne, quels que soient ceux qui les assument. Cette approche offre le mérite d’être descriptive, de clarifier les contours que l’on dira techniques de ce que signifierait concrètement la notion en question.

Il n’en demeure pas moins que l’invocation de la parentalité s’inscrit dans un contexte social surinvesti, avec pour fondement la thématique ou, plus exactement, la problématique du « bon parent », du « parent adéquat ». Pour dire vite, du souci de la parentalité, de l’attention à y porter, se dégagent des contrastes de points de vue.

De façon schématique, on peut considérer la notion de parentalité selon deux angles d’analyse, le premier en termes de responsabilisation, le second en termes de contexte social.

Etre parent, c’est être responsable

Un débat, dénué de sérénité, s’est il y a peu engagé en France, instauré par le propre Président de la République. Ne conviendrait-il pas, selon ce débat, de supprimer le versement des allocations familiales (un droit social acquis) aux parents dont les enfants se soustraient à l’obligation scolaire? Une surenchère dans le discours sécuritaire a même donné lieu à une proposition visant à condamner à une peine de prison les parents de certains délinquants mineurs!

Sans atteindre pareils excès, un discours récurrent tend à prendre de plus en plus de place, une sorte de doxa, qui tend à présenter bien des parents comme devenant « démissionnaires ». Des éléments factuels et liés par une relation dialectique alimentent cette doxa.

Comme le relève Martin (2003), le cadre de l’Etat-providence a stimulé l’augmentation de services, multiples et spécialisés, permettant une externalisation de nombre d’aspects de la prise en charge quotidienne, exceptionnelle mais aussi ordinaire, des enfants. La crèche-garderie en est une facette, elle n’est pas la seule.

Ce qui apparaît comme une forme de délégation éducative se voit doublé de deux phénomènes statistiquement indiscutables. Il s’agit d’une part de la propagation de l’activité professionnelle féminine (phénomène avéré en Suisse, avec un accroissement régulier au fil des ans du nombre de mères de jeunes enfants qui, pour des raisons diverses et selon nous leur appartenant, se maintiennent sur le marché de l’emploi après la naissance de leur premier enfant, cf. OFS, 2007). D’autre part, il faut se rendre à l’évidence que les taux de divorce augmentent, y compris chez les parents de jeunes enfants, tout comme se déploie la mobilité géographique des familles. L’instabilité, structurelle, des couples se prolonge de la perception d’un « recul des fonctions socialisatrices assumées par les adultes à l’égard de leurs enfants » (Martin, 2003, p. 12). Il en résulte, selon le sociologue, « un diagnostic de déresponsabilisation progressive des parents ou, tout du moins, de réduction du champ de leurs responsabilités spécifiques » (ibidem).

On en est ainsi venu (voir Sellenet. 2007, p. 137) à développer, dans le cadre de la protection de l’enfance, la problématique des « compétences parentales, ou plutôt leur absence, car toute intervention est censée s’appuyer sur une évaluation des carences ou des risques présentés par le milieu familial ». Diverses approches de la compétence parentale, complémentaires, parfois contradictoires, ont été suggérées; divers guides d’évaluation ont été élaborés. Nous renvoyons à Sellenet (op. cit., pp. 142-151) pour un examen typologique. Existerait-il, pour reprendre un terme en vogue, emprunté comme c’est de plus en plus souvent le cas au vocabulaire managérial, de « bonnes pratiques » parentales? Dans un essai percutant consacré à la moralisation de la question sociale, Murard (2003, p. 26) évoque le cas des mères, prises dans une « culpabilité à double entrée: celles qui travaillent ne s’occupent jamais assez bien de leurs enfants; la maison de celles qui ne travaillent pas n’est jamais assez récurée, leurs enfants jamais assez propres et performants pour excuser qu’elles dépensent sans cesse et ne rapportent rien ».

Une mise en perspective de la responsabilité parentale paraît nécessaire, offerte par la théorie psychosociologique de l’attribution causale, qui permet d’expliciter le diagnostic posé par Castel (p. ex. 2003) sur le traitement de questions sociales: on est chaque fois plus confronté à une « psychologisation de la société ».

Selon cette théorie (Leyens, 1983; Yzerbit et Schadron, 1996), afin de mieux maîtriser son environnement, tout individu confronté à un événement ou à un comportement qui le perturbent cherchera, de manière spontanée, à en déterminer l’origine (à commencer par la recherche d’intentionnalité); il ne se contente pas d’enregistrer le fait.

Deux formes d’explications causales, opposées, pertinentes l’une comme l’autre, peuvent dès lors être avancées. La première, dite interne ou dispositionnelle, privilégie les éléments relevant de la responsabilité de l’individu, qu’il soit acteur ou observateur; c’est par exemple le cas de sa compétence (ou de son absence), de sa motivation (ou de son absence). La seconde forme d’explication, externe ou situationnelle, met l’accent sur des facteurs qui n’engagent pas directement la responsabilité de l’individu, qu’il s’agisse de la complexité (ou de la simplicité) de la situation (par exemple une tâche à accomplir), ou de circonstances fortuites, telle la chance (ou son absence).

Ces deux formes d’explications sont également plausibles. Reste que nombre d’études ont démontré une forte tendance, dans nos jugements sociaux, à mettre d’abord en avant une causalité de type interne, qui engage donc l’individu. Un exemple serait celui de l’observation d’une femme portant tant bien que mal son bébé dans les bras et qui zigzague au milieu de la circulation automobile. Notre première réflexion sera de nous dire que cette femme est inconsciente. Nous aurons peine à penser d’immédiat que cette femme est pressée car son enfant est malade; elle court chez le médecin, ou que, suite à une grève des transports publics dont nous avons pourtant été aussi la victime, elle doit déposer son enfant à la garderie car l’horaire d’accueil est presque dépassé.

C’est ce que l’on dénomme l’erreur fondamentale d’attribution causale. « Fondamentale » car s’imposant d’emblée. Il ne s’agit pas d’un quelconque péché mais d’un raccourci, auquel fait recours le psychologue qui vit en chacun de nous et qui nous fait vivre. Nos tentatives d’explication du monde social ont besoin de stabilité. Or, la personnalité est par principe plus stable que les circonstances ou l’environnement.

La théorie de l’attribution causale propose deux extensions, deux généralisations de l’erreur fondamentale, qui s’appliquent moins à l’explication d’un événement particulier qu’à une représentation partagée du monde social. La première est la norme d’internalité: nous vivons dans une société qui valorise les explications de type interne, et les individus qui valorisent ces explications. Tout un chacun par exemple sait que les enfants sont éducables, et que, parmi les valeurs transmises, figure celle de partage. Or, qui de nous ne trouvera pas plus sympathique un enfant qui dit avoir offert des bonbons à un ami parce qu’il en avait envie qu’un enfant qui dit l’avoir fait parce qu’on lui a dit qu’il fallait le faire. Dans les deux cas, pourtant, le partage a bien eu lieu!

La seconde extension de la norme d’internalité est celle de la « théorie du monde juste », élaborée par Lerner (1986). Partant du fait que les gens ont besoin de croire qu’ils exercent un contrôle sur leur environnement, qu’ils en viennent à minimiser ce qui relèverait du hasard ou des circonstances, Lerner formalise le principe suivant: nous avons besoin de poser l’hypothèse que nous vivons dans un monde juste, où chacun mérite ce qu’il obtient et obtient ce qu’il mérite. « Prospérité suppose Capacité. Gagnez à la loterie vous voilà un honnête homme », écrivait Hugo dans Les Misérables.

La pluralité des modes de vie des familles

Nul ne saurait douter que les parents sont responsables, se sentent responsables de l’éducation de leurs enfants. Toujours est-il, comme l’exprime Martin (2003, p. 54), qu’une « réflexion sur la parentalité ne peut se limiter à évoquer des principes et des normes. Il s’agit d’engager une réflexion sur la “condition parentale“ (…) en tant qu’elle dépend étroitement des conditions quotidiennes d’existence, avec leurs contraintes profondément inégales ». Cet auteur (op. cit., pp. 48-49) postule que le sentiment de responsabilité parentale fait l’objet d’un processus de construction qui doit être abordé selon trois dimensions, simultanées. D’une part le rôle joué par certaines variables sociologiques classiques, telles que le milieu social d’origine, le niveau d’études, la profession exercée, etc. D’autre part les variations, les arrangements, les négociations qui interviennent au cours du cycle de vie. Il faut enfin tenir compte des modes de délégation de cette responsabilité à des tiers, des aspirations comme des éventuelles contraintes rencontrées.

Nous revenons ici aux deux phénomènes sociaux évoqués précédemment, à savoir l’augmentation de la participation des mères sur le marché du travail, avec ses effets sur leur disponibilité en termes d’éducation familiale, et l’éclatement du modèle traditionnel de la famille, qui demeure pourtant prototypique dans les esprits.

Intervient ici la thématique désormais obligée (la Loi Vaudoise sur l’accueil de jour – LAJE – et le projet fédéral HARMOS en sont deux exemples emblématiques en Suisse) de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Thématique qui tend parfois à occulter le fait que toutes les familles ne se ressemblent pas, de même que toutes les conditions d’exercice de la vie professionnelle ne se ressemblent pas. Diverses études sur ce propos (voir Campéon et al., 2005; Lesnard, 2009) pointent l’évolution des conditions régulières de travail, avec notamment, pour des raisons de rationalisation et d’accroissement du profit, l’explosion des horaires de travail flexibles ou atypiques qui entraînent de « nouvelles exigences temporelles du lien familial » (Lesnard, p. 19). Or, cette « désynchronisation des emplois du temps », selon l’expression de Lesnard, n’est pas uniformément répartie: l’horaire de travail « standard » est davantage accessible aux familles occupant une position sociale élevée.

La pluralité des modes de vie des familles concerne, on s’en doutera, les professionnels de la petite enfance. En France, mandat leur a été donné, officiellement, dans le cadre de la protection de l’enfance, de contribuer au soutien à la parentalité (cf. Sellenet, 2007). L’étude que nous avons menée (Meyer et al., 2009) s’est penchée sur l’examen, avec le point de vue des professionnels, des demandes que les familles, dans leur diversité, adressent aux crèches-garderies. Nous en présentons ici quelques éléments.

Les professionnels de la petite enfance et les situations parentales

Nous évoquerons moins ici la question du soutien à la parentalité que du fait de l’élargissement de la mission des institutions socioéducatives, de l’attention toute particulière que les éducatrices portent aux familles qui confient leurs jeunes enfants à une crèche-garderie.

Afin d’étayer notre propos nous nous baserons sur des analyses qualitatives[2] empruntées à la recherche que nous avons menée auprès de professionnelles de la petite enfance[3]. Plusieurs méthodes ont été mobilisées dans le cadre de cette étude. L’une d’entres elles consistait à faire émerger, lors d’entretiens collectifs avec les éducatrices[4], leurs perceptions[5] de la diversité des demandes familiales rencontrée au quotidien.

La densité du matériel récolté nous a conduits à raisonner selon trois niveaux. En premier lieu, caractériser la diversité des situations familiales, ensuite, tenter de mesurer l’impact de ces situations sur le développement des missions des institutions et, finalement, faire émerger un questionnement concernant le positionnement des professionnelles face aux demandes des parents.

Pour synthétiser les résultats obtenus, nous regrouperons les multiples contours que peut prendre cette diversité des familles, selon quatre axes.

D’abord l’identité culturelle qui renvoie au système de croyances, d’habitudes, de pratiques que les parents véhiculent; ensuite le niveau d’intégration sociale qui dépend du niveau d’accès des familles à des ressources extérieures à la sphère domestique; évoquons également la dynamique familiale interne qui apparaît comme une source importante de diversité (familles recomposées, parents séparés, en conflits); enfin la situation professionnelle des parents qui renvoie aux contraintes d’horaires, à la flexibilité des temps de travail, mais aussi aux conditions de précarité professionnelle rencontrées par certaines familles ainsi que la prise en considération de leur niveau de vie matériel.

L’expression de cette diversité des familles n’est pas sans conséquences : elle peut engendrer des changements importants quand il s’agit de définir, de s’interroger sur la mission des crèches-garderies. Effectivement, elle met en jeu et module au quotidien la mission de base des lieux d’accueil. Selon l’intensité des demandes des parents, les crèches-garderies sont devant la nécessité de devoir adapter, réaménager, se questionner sur leurs prestations socioéducatives. Ainsi les thématiques et les notions suivantes sont mobilisées, en termes d’écoute, de conseils, et de soutien aux usagers; comment construire une relation de confiance avec les parents; en termes d’aménagement et de respect des horaires; en lien avec la cohérence d’une organisation et gestion de la vie collective ; ou encore comment accueillir l’enfant et assurer son bien-être.

Du côté du positionnement des professionnelles, la prise en compte de la diversité des situations et des demandes des familles fait émerger au moins cinq problématiques transversales; comment établir un jugement professionnel[6], comment faut-il se situer quant à l’interprétation de la règle; une problématique qui concerne toute organisation collective, à savoir le jeu entre cadre formalisé, règlement et procédures formelles, et normes informelles, pratiques réelles, d’autre part. L’interprétation des règles formelles contenues dans le cadre institutionnel renvoie à la question de la latitude et à la marge de manœuvre des professionnelles au sein de l’institution : jusqu’où peuvent-elles ou doivent-elles répondre et faire face à l’ampleur des demandes familiales ?

Il s’agit également de se questionner sur la gestion des frontières, comment apprécier l’étendue d’un engagement professionnel, jusqu’où faut-il accompagner tel père ou telle famille dans le désarroi, jusqu’ où faut-il « sortir des murs » de la crèche-garderie afin d’être au plus près des parents.

Finalement, selon les circonstances rencontrées avec les familles, comment communiquer sur sa légitimité professionnelle, comment la faire valoir, comment les éducatrices peuvent-elles s’appuyer sur une identité professionnelle afin de se positionner de manière claire et cohérente dans la relation avec les parents.

Autant de thématiques transversales qui mettent en lumière l’ampleur des postures professionnelles à adopter, à élaborer, à rechercher face à la variété des demandes familiales. Au quotidien, l’adéquation des professionnelles face aux diverses réalités familiales ne va pas de soi.

Des exemples de conseils avisés qui vont au-delà de simples conseils sur le pas de porte

Loin de nous l’ambition de présenter ici l’ensemble des situations familiales rencontrées par les éducatrices lors de notre enquête. Un premier constat s’impose toutefois; l’abondance des situations au sujet desquelles les professionnelles ont été sollicitées témoigne du fait qu’elles sont considérées par les familles comme des personnes-ressources, voire comme des expertes.

Nous présenterons ici exclusivement quelques exemples qui mettent en scène les familles et les professionnelles, que nous avons catégorisées sous les rubriques de soutien et de conseils aux parents. On s’en doutera, les conseils et le soutien prodigués aux familles peuvent être, de différente nature et recouvrir des problématiques multiples. Il s’agira de la vie quotidienne de l’enfant en termes d’alimentation ou de petits bobos, de normes de développement psychologique, de ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, de conflits au sein de la fratrie, de vie quotidienne des propres parents. En voici un exemple :

C’est comme la situation de cette mère qui nous dira un matin en amenant son fils qu’il n’a pas dormi depuis plusieurs nuits. Il se réveille en hurlant. Donc, on a proposé à la mère d’en discuter avec l’enfant. On a découvert qu’il y a un jeu dans sa chambre qui lui fait peur. On en a reparlé avec les parents qui ont tout de suite réagi. Le lendemain l’enfant a pu redormir…

Si la plupart des situations trouvent à leurs dires une réponse adéquate de la part des professionnelles, d’autres confrontent les éducatrices à une certaine impuissance. C’est le cas en particulier pour les familles démunies de ressources sociales. Autre exemple :

Certaines familles n’ont pas de réseau dans leur famille, parce qu’elles sont par exemple migrantes, il n’y a rien qui est mis en place, si ce n’est des systèmes payants, qui de toute façon, ne sont pas accessibles. Donc nous, on se retrouve confrontés aussi à ça, mais en même temps on est impuissants…

Ou encore, des situations dans lesquelles les parents sont particulièrement fragilisés. Voici encore un exemple de propos récoltés :

Certaines situations touchent à l’intimité et à nous de savoir en tant que professionnelles comment on peut entrer dans cette intimité-là, avec quels moyens on va dire les choses et comment on peut blesser, ou éviter de blesser à un moment donné la famille, aussi, je trouve que nous ne pouvons pas toujours protéger. Mais ça, c’est tout un travail, parfois on en discute en colloque.

Rien n’égale la satisfaction professionnelle qu’éprouvent les éducatrices, quand elles peuvent contribuer à la résolution (ou pouvoir répondre positivement) aux différentes situations éducatives problématiques rencontrées par les familles. Toutefois, malgré le fait que nous avons pu constater que les réponses des éducatrices sont beaucoup plus souvent positives que négatives, toutes les situations ne peuvent trouver une solution.

Par son analyse, parue dans une revue professionnelle, qui ouvre de notre point de vue sur de nouvelles perspectives quant à un questionnement sur les positionnements des éducatrices, Moisset (2010, p. 16) relève ceci : « Nous constatons à quel point cette perspective de travail avec les parents peut parfois paralyser les professionnels, voire les embarrasser. » Effectivement, les éducatrices sensibles aux multiples demandes des familles qui parfois sortent du cadre institutionnel (avec les aléas que peut représenter la réalité d’un accueil collectif) ne se sentent pas toujours autorisées à refuser ou ne savent pas toujours jusqu’où il faut intervenir. De plus, selon les situations rencontrées avec les familles les professionnelles doivent pouvoir préserver leur relation à l’enfant des demandes parentales qui pourraient les compromettre. Dans cette perspective de partenariat avec les parents, il s’agira de trouver un juste équilibre en travaillant « avec » et « sur » les familles et parfois, selon les situations rencontrées, « sans » les familles, en refusant une demande ou en différant certains problèmes au niveau collectif afin de ne pas être dans l’immédiateté d’une réponse.

Cela renvoie à « la consistance des lieux d’accueil », nous dira Moisset, sa spécificité aussi bien pour les enfants qui y sont accueillis que pour les éducatrices qui y travaillent, aux possibilités que ces lieux offrent en matière de lien entre les adultes, entre les adultes et les enfants, entre les enfants eux-mêmes. La dimension collective des lieux d’accueil peut se révéler être une force pour les situations individuelles rencontrées par les professionnelles, encore faut-il que ce collectif puisse œuvrer dans de bonnes conditions structurelles et organisationnelles.

Bibliographie

Castel, R. (2003). L’insécurité sociale. Qu’est-ce que être protégé? Paris: Le Seuil / La République des idées.

Campéon, A., Le Bihan, B. & Martin, C. (2005). « Expérimentation d’une offre de garde face aux horaires de travail atypiques et flexibles ». Recherches et Prévisions, N° 80, pp. 25-40.

Greslier, F. (2007). « La parentalité, une notion à déconstruire ». EJE. Le Journal des Educateurs de jeunes enfants. 3, 12-15.

Houzel, D. (1999). Les enjeux de la parentalité. Ramonville Sainte-Agne : Erès.

Kühni, J. (2010). « Des savoirs essentiels et des savoirs accessoires ». Revue [petite] enfance. N° 102, pp. 7-10.

Lerner, M.-J. (1986). « Le thème de la justice ou le besoin de justifier ». Bulletin de Psychologie, 39, pp. 205-211.

Lesnard, L. (2009). La famille désarticulée. Paris: PUF.

Leyens, J.-P. (1983). Sommes-nous tous des psychologues? Liège, Mardaga.

Martin, C. (2003). La parentalité en questions. Paris: Haut Conseil de la Population et de la Famille.

Meyer, G., Spack, A., Perrenoud, D. & Dumont, P. (2009). Familles singulières, accueil collectif. La réception de la diversité des situations familiales par les crèches-garderies. Lausanne: Cahiers de l’EESP, N°48.

Moisset, P. (2010) « Pour un partenariat consistant, il faut travailler avec, “sur” et sans les parents ». Métiers de la petite enfance, N° 161, pp. 16-18.

Murard, N. (2003). La morale de la question sociale. Paris: La Dispute.

OFS (Ed.) (2007). Enquête suisse sur la population active. Berne: Office fédéral de la statistique.

Sellenet, C. (2007). La parentalité décryptée. Paris: L’Harmattan.

Yzerbit, V. & Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui. Grenoble: Presses universitaires de Grenoble.


[1] Le choix du genre est un débat infini. Nous souscrirons, avec flagornerie ou pas, la lectrice et le lecteur en jugeront, à la formule employée par le rédacteur de cette revue dans un précédent numéro: « Si, dans le texte, le terme est féminisé, il pourrait être masculinisé. Et inversement » (Kühni, 2010, p. 8).

[2] Nous profitons ici de remercier David Perrenoud qui a participé à cette enquête et qui a produit ces analyses.

[3] Trois vagues d’entretiens collectifs ont été entreprises auprès de 117 éducatrices de treize institutions retenues dans l’échantillon d’enquête.

[4] L’option de rencontrer les professionnelles selon leur secteur d’appartenance correspond à l’hypothèse selon laquelle les thématiques familiales, tout comme leur perception par les éducatrices, ne sont pas traitées de la même façon selon l’âge des enfants concernés. De plus, le fait de rassembler des personnes vivant dans une même communauté d’expérience permettait de problématiser, de particulariser les questions propres à ces trois secteurs.

[5] Lors de ces entretiens collectifs, il ne s’agissait pas de recenser des opinions concordantes ou discordantes, mais bien d’amener les participants à développer, ou contredire, les propos de personnes ayant pris la parole au préalable et ainsi de suite.

[6] Par jugement professionnel, nous entendons un jugement légitime, car informé, construit avec méthode, reconnaissant les potentiels stéréotypes que chacun porte en soi pour mieux les neutraliser, les dépasser, un jugement construit avec un minimum de distance et sans précipitation.

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