Le caporal, le cardinal, le marginal, l’éducatrice* et les autres

Florilège

L’autorité en cascade

Un exemple : Les autorités de la République ont décidé que le conseil supérieur de la Banque superviserait le travail des cadres dirigeants en déléguant son pouvoir à l’entreprise d’audit « Qu’elle est belle la mariée et Qu’il est beau mon coffre-fort. »

L’autorité divine

Le roi* tient son pouvoir de sa proximité autoproclamée avec Dieu ou ses subalternes. Plus exactement, son pouvoir se légitime sur le silence ou l’adhésion du peuple à l’argument royal. Il y a des soumissions plus ou moins volontaires.

L’autorité du chef*

Les hiérarchies sont bâties sur un modèle pyramidal et systémique. Celui* qui est un peu plus haut décide, ordonne, commande, exige, punit, congratule et distribue parfois quelques miettes. Il arrive aussi qu’il en sache un peu plus, mais c’est loin d’être une condition absolue à sa promotion.

L’autorité spirituelle

Les processus de désignation et d’entretien de cette autorité d’apparat restent assez mystérieux. Ses caractéristiques premières demeurent liées aux principes de fondation et de conservation des édifices d’autorité. Quand le pouvoir spirituel contredit l’ordre établi, on lui coupe les vivre puis on le déclare hérétique et, enfin, on l’incinère.

L’autorité morale

Comme certaines autorités spirituelles ont fait le pari de la reproduction sexuée, elles ont choisi des partenaires politiques et cela a engendré l’éthique. Les désignées* préposées à l’autorité morale bénéficient d’un statut ambigu, puisque seuls leurs écarts devant ce qui est moralement admis, peuvent remettre en question leur pouvoir. Le problème c’est la versatilité historique de la morale. Par exemple : la pédophilie était une modalité du droit irréfragable d’assouvir son désir sur les plus faibles ; elle est devenue mortelle pour les autorités morales. Ici et maintenant, la fidélité dans le mariage n’est plus essentielle à une bonne moralité, et l’homosexualité ne nuit plus tellement aux carrières. Tandis qu’être officier supérieur dans l’armée de terre, ne garantit plus un bon contrat de mariage avec vue sur le lac.

Ces autorités, principalement statutaires, perdurent par leur capacité d’exercer une violence, dite légitime, sur le peuple des justiciables. Il est important, ici, de souligner que la première fonction de la violence n’est pas d’assouvir les pulsions des pervers* polymorphes, mais bien d’assurer la pérennisation des rapports de domination.

L’éducation est, avant tout, un acte politique

L’air de rien, et sur un air de « c’est pour ton bien, mon enfant », les actes pédagogiques des éducateurs* s’inscrivent dans des rapports très inégaux, socialement déterminés et historiquement situés. Si les enfants sont dépendants des adultes, si leur ignorance relative est préjudiciable à leur survie et si leurs esprits sont malléables et impressionnables, il n’en demeure pas moins qu’ils sont capables d’intelligence du monde. Un jour ou l’autre, très tôt si leur éducation est de qualité, ils comprendront ce qu’on leur a fait, et ils seront capables de faire quelque chose de ce qu’ils ont compris.

L’éducation est ainsi un acte d’autorité qui devrait autoriser l’éduqué à lui résister. Bien sûr, les éducatrices* ont une nette préférence pour les résistances différées. Il en est de même pour les instituteurs*, les maîtres de ballet et les patronnes* d’usine.

Très vite, en préparant ce numéro, il est apparu que ce n’est pas l’autorité qui posait question, mais plutôt ce qui la rendait légitime.

Miscellanées du langage quotidien

Puisque ça se dit ainsi, cela doit bien avoir un peu de réalité.

Avoir de l’autorité

La question lancinante « d’en avoir ou pas » n’est pas spécifique des délires masculinistes. Elle est récurrente dans le travail avec les enfants. Elle s’articule sur une vision très naturaliste de l’autorité, comme un don du ciel ou un héritage génétique ou social ; pour, dans un deuxième temps, fonder une opinion qui se résume ainsi : « la destinée a distribué l’autorité à ceux et celles qu’elle a choisis. »

Quand on y regarde d’un peu plus près, le naturel du chef est un artifice laborieusement construit et durement préservé.

Etre autoritaire

Cela revient comme un reproche unanime. Celui ou celle qui est taxé d’autoritarisme a raté le chapitre de la relation pour se carrer dans celui du pouvoir. Son argument est exclusivement statutaire, le débat n’a pas lieu et la guerre est déclarée. C’est une incivilité à l’envers.

Faire autorité

L’espoir discret des éducatrices* qui ont le souci de leur métier, se joue autour de ce nœud sémantique. Devenir celui à qui l’on vient demander conseil, celle dont le jugement pèse son poids de pertinence, celui qui devient référence, celle qui laissera une trace de sa pratique…

Faire autorité implique un travail constant et une confrontation permanente au réel du travail. Certains* ont bien essayé de faire autorité en jouant sur la notoriété, mais sans les étais de situations concrètes et ordinaires, la réputation n’y suffit pas. Ni les expériences construites sur le mode légendaire, ni une présence médiatique de starlette ne suffisent à garantir cette position d’autorité. Pour faire autorité, cela doit résister à l’épreuve du travail réel, sous les yeux des professionnelles*.

Avoir, être et faire, nous nous approchons du travail éducatif. Encore faut-t-il penser, lire, écrire…

L’autorité en trois pauvres positions

La position du missionnaire

Les institutions petites enfances rabâchent continuellement des slogans autour de leur mission éducative. Les propos ont un costume altruiste, éthiquement cousu, bientôt certifié iso. Elles soliloquent sur les mesures qualité, comme si l’on venait de découvrir l’importance de bien faire son travail. Elles passent comme chat sur braise sur les inégalités sociales, les différences d’accès au langage et aux codes sociaux, les rapports sociaux de genre… Bref, les missionnaires participent à la perduration d’un système d’exploitation, en psalmodiant leur souci de bien faire le bien.

La position du gestionnaire

Les messes de la gestion sont montées en puissance ces dernières années. Le modèle de l’entreprise a occupé toute la place de décision et mène sa barque en bétonnant son pouvoir. Seuls les iconoclastes contestent son autorité. La dévastation des collectifs de travail et de leur capacité à créer de nouvelles pratiques est ahurissante. Les rationalités évoquées par la gestion sont limitées au mesurable du travail, et c’est une misère.

La position du militaire

Sa caractéristique majeure est l’occupation du langage professionnel, on n’y parle plus que de cibles, d’objectifs, de missions. La rhétorique de la guerre économique sévit, l’ennemi s’appelle concurrence, que par ailleurs on érige en valeur universelle, et la stratégie est la panacée. Les morts sont des dommages collatéraux. La caporalisation des rapports de travail est une autre caractéristique de l’approche militaire, ses traits particuliers sont la suspicion, la toute puissance des prescriptions administratives et la systématisation des procédures de délation.

Ces trois pauvres positions, qui n’ont, par ailleurs, jamais fait preuve d’une quelconque créativité libidinale, ont réussi à amocher le travail dans tous les secteurs de l’éducation.

Reprendre autorité sur nos métiers, c’est limiter la capacité de nuisance des « positionnaires » susnommés.

Idéalement, ce numéro sur l’autorité éducative aurait voulu montrer que la mise en « débat vivant » de ce qui fonde l’autorité, concerne le travail avec les enfants, le travail avec les parents et le travail en équipe. La capacité de discuter, jusqu’au changement si nécessaire, n’est jamais réelle dans le travail avec les enfants, si elle est impossible dans l’équipe.

Pour mon compte, j’aurais aimé reproduire cette affiche anarchiste qui proclamait que « la hiérarchie, c’est comme les étagères, plus c’est haut, moins ça sert. » Nous aurions pu poser ensuite que l’autorité, pour être légitime dans un cadre de travail, ne peut être que provisoire, liée aux aléas de la situation et à la capacité collective d’accorder ou de refuser cette autorité-là dans cette situation-ci. J’aurais, pour finir, repris cette couverture du Magazine littéraire qui disait que ce n’est pas le doute qui rend fou, mais les certitudes. Finalement, nous avons avancé sans ces emprunts et j’ai rangé ma « cuisine citative ».

Pour le dire en une phrase : l’autorité éducative s’établit sur des savoirs tangibles, dont la réalité ne tient qu’à des promesses ; et certaines éducatrices* s’échinent plus que d’autres à tenir parole.

Le numéro 107 innove en lançant une nouvelle rubrique Chercher & Travailler. Nous profitons de quatre contributions du colloque EECERA, pour démarrer.

Nous tentons d’abord de faire sortir les chercheuses* de leurs laboratoires d’ivoire, ce qui ne pose pas de difficulté majeure. Nous aimerions ensuite faire entrer les professionnels* de la petite enfance dans les processus de recherche, pour faire vivre les recherches dans le quotidien du travail éducatif. Là, c’est un peu plus difficile. L’ambition, c’est de faire coopérer action professionnelle, expérimentation et élaboration critique du travail.

Bref, nous sommes encore une petite revue avec de grandes ambitions.

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