Le 141 esquissé

Le dossier

Caffari pose qu’on ne peut pas penser l’autorité en éducation sans se référer aux contextes historique et social dans lesquels cette autorité s’exerce. L’éducation de l’enfance a changé drastiquement au fil du temps, tandis que l’enfant, d’objet à éduquer, est devenu un sujet à accompagner. Or, notre société semble avoir quelque peu de mal à intégrer l’asymétrie fondamentale qui existe entre adultes et enfants. L’autorité éducative, ce serait comment « contraindre avec le projet de libérer », ce qui n’est de loin pas chose aisée.

Borel prend sa machine à remonter le temps et revient sur son article de dix ans en arrière traitant de la part émotionnelle de l’autorité éducative. Comment faire, lorsqu’un enfant manifeste une agressivité intempestive, pour ne pas sombrer du côté obscur de la force (éducative) ? Trouver la voie vers une pédagogie créative est nécessaire autant qu’épineux : l’exercice de l’autorité, quand il paraît se réduire à un « non » perpétuel adressé à l’enfant, peut s’avérer usant. Au point que « renoncer à la violence dans l’éducation est un travail permanent et complexe ».

Gutknecht examine les formes que revêt l’autorité jusqu’au plus intime de nos existences, qui que l’on soit. L’autorité faiblit-elle ? Se durcit-elle au contraire, comme beaucoup le prétendent ? Une autorité extérieure au soi, à l’individu devenu sacralisé, est-elle carrément inadmissible et doit-elle être combattue ? L’autorité n’a pas disparu des discours et des pratiques, mais elle se voit désormais comprise dans un « espace d’incertitudes ». D’où la nécessité, encore et toujours, de la penser et de la (re)construire, en tâchant autant que possible de l’employer à « l’augmentation des individus ».

Nussbaumer rappelle que l’autorité, et le pouvoir de manière large, n’est pas l’apanage exclusif des adultes. On n’en parle pas très souvent, mais c’est un fait : les enfants, en s’appropriant et en mettant au travail les outils symboliques (gestes, cris, pleurs, langage…) qui ont cours dans leur culture, contribuent activement à la défense de leurs propres intérêts. L’ennui, c’est que les enfants qui maîtrisent le mieux les outils à la fois les plus efficaces et les plus valorisés sont systématiquement issus des classes sociales supérieures.

Besse & Frund constatent que la pratique de l’autorité en éducation de l’enfance tend à devenir situationnelle, « suivant en cela l’évolution du travail social qui cherche à adapter son activité aux spécificités des situations vécues ». On est loin des figures traditionnelles de l’autorité, contre lesquelles une réactivité épidermique s’est comme sédimentée. Cela ne suffit pas, néanmoins, car pratique et réflexivité doivent se nourrir mutuellement : nous avons besoin de véritables débats sur la question de l’autorité éducative, notamment parce que l’autorité, sous certaines de ses formes passées, a laissé des blessures qu’il s’agit de traiter activement.

Les Savoirs des couloirs font partie intégrante de ce dossier, Kühni & Fracheboud y poursuivent leur entreprise consistant à rendre audibles les voix des professionnel·es de l’accueil collectif, cette fois autour du thème de l’autorité. Les discours qui sont ici donnés à entendre sont articulés à la pensée de Bruno Robbes, qui propose de penser l’autorité à travers trois formes fondamentales : être l’autorité, avoir de l’autorité et faire autorité. Cette dernière forme est probablement la plus féconde pour nos pratiques en éducation de l’enfance : faire autorité, c’est « s’être suffisamment “collé” à un métier, et y avoir construit un savoir praxique ; être capable de le mettre en mots, de le transmettre et, surtout, en être reconnu par les pairs, la hiérarchie, les bénéficiaires, et au-delà ».

Chercher & Travailler

Azaoui présente une recherche axée sur un projet de bilinguisme en crèche. Ce type de programmes d’encouragement précoce a pour but avoué d’influer positivement sur le développement des enfants. Concrètement, va-t-on choisir comme deuxième langue plutôt l’anglais ou le japonais, langues qui ont une supercote, ou alors des langues jouissant d’une reconnaissance moindre, bien que davantage parlées dans nos régions, à l’instar du turc par exemple ? Et est-ce un hasard si les crèches qui adoptent ces lignes bilingues sont constituées très majoritairement d’enfants appartenant aux classes supérieures ?

Réagir & l’écrire

Kühni réagit à l’article précédent en regrettant les succès contemporains de programmes d’encouragement précoce, ces leurres technocratiques qui nous donnent le sentiment grisant de lutter efficacement contre les inégalités sociales et culturelles. Les enfants ne sont ni des objets d’éducation, ni des abrutis, leur intelligence est découvreuse et créative, et il s’agirait peut-être de placer en face de cette intelligence enfantine, une intelligence éducative patiente et cultivée.

Dire & Lire

Caffari loue deux ouvrages traitant de ces moments complexes de la vie des crèches que sont les repas ainsi que les temps intermédiaires. Pas de recettes toutes faites ici, plutôt des analyses fines de la vie en collectivité, desquelles on tirera de l’inspiration pour penser et tisser un accueil de qualité.

Fracheboud ne loue pas un petit livre signé de la figure de proue de l’éducation positive, et qui donne des recettes clé en main aux enfants, celles qui leur permettront de devenir des as de la communication, sur le modèle de ce qui s’enseigne dans les entreprises… Diantre. Les livres que nous donnons aux enfants doivent-ils transformer ces derniers en « entrepreneuses et entrepreneurs de soi » ? Ou doivent-ils au contraire nous aider à penser et à tisser des mondes nouveaux, à nous toutes et tous, adultes comme enfants ?

Robert Frund
et Quentin Nussbaumer

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