Tenir le poste de travail, tenir au poste de travail, tenir dans le poste de travail.

Changer une toute petite particule de texte permet déjà de saisir qu’être professionnel ne se résume pas seulement au diplôme décroché, mais que cela peut se décliner de toutes sortes de manières différentes. Et, ces façons distinctes d’appréhender le travail (dans les deux sens du termes : le concevoir ou le craindre) sont de fait liées à ce que l’on est, ce que l’on fait et ce que l’on a fait ou pas, ce que l’on veut ou ne veut pas, ce que l’on peut ou ne peut pas. Ce « on » indéterminé et voulu concerne autant les travailleurs que les institutions, les politiques, la société.

Va-et-vient réflexif sur cette notion de profession en passant par une de ses définitions

Perrenoud (1994, p. 22) avance dans son texte que :

« Les professions, au sens anglo-saxon du terme, constituent un sous-ensemble restreint de métiers, ceux qui présentent de façon marquée certaines caractéristiques :

“(a) l’exercice d’une profession implique une activité intellectuelle qui engage la responsabilité individuelle de celui qui l’exerce ;

(b) c’est une activité savante, et non de nature routinière, mécanique ou répétitive ;

(c) elle est pourtant pratique, puisqu’elle se définit comme l’exercice d’un art plutôt que purement théorique et spéculative ;

(d) sa technique s’apprend au terme d’une longue formation ;

(e) le groupe qui exerce cette activité est régi par une forte organisation et une grande cohésion interne ;

(f) il s’agit d’une activité de nature altruiste au terme de laquelle un service précieux est rendu à la société” (Lemosse, 1989, p. 57) »

Perrenoud, en se basant sur cette liste de Lemosse, poursuit sa réflexion en mettant en évidence quelques aspects-clés qui en découlent : « (…) mieux formés, mieux payés, plus autonomes, plus prestigieux que des gens qui exercent d’autres métiers. » (Ibid, p. 22) L’exemple phare cité étant sans surprise celui des médecins.

Qu’en est-il des éducatrices de la petite enfance (EPE) ? M’appuyant toujours sur le même auteur et en faisant des liens avec la liste énoncée et sa réflexion touchant les enseignants, je peux facilement avancer (comme lui l’affirme pour l’enseignement), que l’éducation (donc, les EPE) se rapproche plus de quelque chose de l’ordre d’une semi-profession. C’est-à-dire et je cite : « (…) un métier qui, à certains égards, ressemble à une profession à part entière, et, à d’autres, paraît plus proche d’un métier d’exécution. » (Ibid. p. 22).

Pourquoi ? Pour le dire vite, si effectivement nous mettons en avant un processus réflexif dans l’exercice de notre métier, je n’oserais pas encore me risquer à le considérer comme une « activité savante », alors que j’estime que c’est ce vers quoi il devrait tendre. Quant à la formation longue qui pourrait nous ranger du côté de la profession, nous savons toutes et tous comment cela a été annulé. J’ajouterai que nous ne pouvons guère nous targuer d’être régi·e·s par une forte organisation (peu de volonté de la part des EPE d’adhérer à une association professionnelle par ex., et je ne parle pas d’une affiliation éventuelle à un syndicat). Je compléterai le propos en disant que la hiérarchisation implicite des diplômes ne favorise pas non plus la cohésion interne citée plus haut. Ce qui me fait dire qu’il est pour moi évident que nous nous rapprochons peut-être même plus de ce que Perrenoud entend par métier peu professionnalisé : « Dans un métier faiblement professionnalisé, la hiérarchie et les spécialistes disent à chacun ce qu’il doit faire. S’il respecte des directives, il n’est pas responsable des résultats. » Je ne saurais rappeler combien de fois les EPE sont demandeuses de consignes, de directives ou encore avides d’avis d’experts qu’elles envisagent d’appliquer à la lettre. Alors ? professionnelles ? semi-professionnelles ? Peu-professionnel·le·s les EPE ?

Perrenoud soutient encore que, pour « un véritable professionnel, (…) nul ne dit – et souvent ne saurait dire – ce qu’il faut faire. Confronté à des problèmes dont il ne connaît pas d’avance la solution, le professionnel est censé les poser et les résoudre en respectant un corps de connaissances, une certaine rationalité dans le choix de ses démarches et une éthique. Il a, en principe, les moyens d’évaluer la situation et de construire une réponse adaptée, sans réinventer la poudre, mais sans être tenu de choisir la solution dans un répertoire constitué par d’autres. » (Ibid. p. 23 ; je surligne). Il est donc important pour exercer ce métier de savoir problématiser. De Jonckheere[1] est particulièrement sensible à cet aspect dans ses livres. Déjà dans Agir envers autrui, la préface d’Isabelle Stengers met en évidence l’importance d’(…) une pratique centrée sur les problèmes et qui a besoin non de principes mais de concepts. On obéit aux principes, mais les concepts obligent à penser, à se porter à la hauteur des problèmes tels qu’ils se posent, toujours ici et maintenant : événement. Dans 83 mots pour penser l’intervention en travail social, De Jonckheere consacre un chapitre au mot problématiser.

A rappeler tout de même que le professionnel n’est pas tenu de réussir, mais que cela signifie, d’une part, qu’il doit être capable de cerner le problème, de faire un travail d’enquête dirait Dewey[2], et, d’autre part, en corollaire il doit rendre des comptes. Cette notion de responsabilité est importante et elle intervient à tout moment dans notre quotidien. Si nous nous référons aux EPE, ce que nous faisons ou ne faisons pas a des incidences diverses : sur les enfants, sur les parents, sur l’équipe, sur soi, etc. Et nous sommes tenues de rendre des comptes, aux collègues, aux parents, et même de légitimer nos actions pédagogiques devant les enfants.

Perrenoud ajoute que : « la faute professionnelle est alors plus difficile à cerner : elle n’est pas infraction à une règle absolue, mais plutôt manque d’intelligence, d’audace ou de prudence, de feeling, de rigueur, de sensibilité, bref, de compétence. » (Ibid. p. 23). Sans entrer dans un débat sur cette notion de compétence, je tiens juste à rappeler que, pour moi (et d’autres), la compétence ne concerne pas seulement l’individualité du travailleur. La personne qui travaille est prise dans quelque chose de plus grand qu’elle, que ce soit une institution, des choix politiques, une culture professionnelle, un collectif de travail.

La compétence d’un individu ne peut exister, s’affiner et s’enrichir que si l’organisation du travail y met du sien : bonne formation de base, mise à jour des connaissances et des savoirs constitués, donc possibilité et encouragement de formation continue, implication du groupe de pair·e·s, temps pour les colloques d’équipe, etc.

Pour tenir le poste de travail, il faut donc posséder ou acquérir certains savoirs de base qui vont permettre à l’EPE de faire face aux diverses situations rencontrées. Je ne m’étendrai pas sur ces savoirs constitués tels que le développement de l’enfant, la pédagogie, la sociologie de la famille, la dynamique de groupe, etc… Je préciserai juste le fait que, d’avoir par exemple des connaissances sur le développement de l’enfant, ne dit rien de comment l’EPE « répondra » en situation au problème qu’elle va rencontrer. Pourtant, il est clair que sans ce minimum, il va lui être difficile de travailler.

Pour tenir le poste et « bien[3] » le tenir, l’EPE doit au moins être capable de voir/savoir quelque chose et de faire quelque chose de ce qu’elle sait. Quelque chose… c’est bien dans ce quelque chose que réside la difficulté. Voir quelque chose signifie que l’on fait des liens avec ce que l’on sait (d’où l’importance d’une formation solide, large, complète, qui déborde un savoir juste utilitaire) et si possible le conscientiser pour soi et pour l’autre : « tiens, cet enfant a 11 mois, il ne se met pas debout ! ». C’est bien parce que l’on sait (on a construit une idée de) comment cela se passe en général que l’on repère (voit) un écart. Bien tenir le poste c’est en plus en faire quelque chose. Diverses solutions sont alors envisageables : faire des observations plus poussées et vérifier la pertinence d’une première hypothèse, en parler en colloque, en parler aux parents, proposer du matériel qui encouragerait la posture debout, s’alarmer, relativiser, etc.

Pour chacun des items proposés, il faut encore des connaissances spécifiques : savoir observer, savoir parler et argumenter en colloque. De plus, si vous décidez d’en parler aux parents, il s’agit aussi d’être capable de mesurer les enjeux d’une telle conversation. Cela nécessite aussi d’être créative dans le matériel proposé et également de savoir défendre son point de vue.

De cascades en cascades, pour un exemple somme toute banal, nous pouvons déjà entrevoir une infime partie du travail demandé.

Et, que dire encore de ces savoirs et connaissances, qui finalement sont souvent très situés (culturellement, idéologiquement) ? Le livre intitulé L’Art d’accommoder les bébés[4] (1980) reste un exemple emblématique. Il rend compte de 100 ans de recettes françaises de puériculture… que ce soit en lien avec l’alimentation, le sommeil, le langage, etc. Des impérialismes alimentaires à l’histoire de la sucette, en passant par les images de la mère, cet ouvrage montre comment se construit idéologiquement et aussi politiquement l’éducation des jeunes enfants. Les auteures disent aussi ceci : « Exigeons une puériculture honnête, temporellement située, qui argumente ses prises de position sur le dernier état en date de la science de référence (en l’occurrence la pédiatrie et la psychologie de l’enfant), enfin qui “annonce la couleur” : il est essentiel de savoir si l’auteur se fonde sur la psychanalyse, sur l’éthologie ou sur le behaviourisme par exemple, pour pouvoir se faire une opinion sur ce qu’il écrit. » (Ibid. p. 262).

Etre capable de replacer dans son contexte des savoirs et des connaissances sur lesquels on s’appuie, donc parfois les remettre en question, est aussi important pour bien tenir le poste.

Mon exemple banal pourrait ne pas en être un dans une autre culture, ou suivant les années.

Bien tenir le poste demande aussi d’être capable de développer des connaissances particulières sur les enfants spécifiques avec lesquels nous travaillons. Angelo n’est pas Mathys, même s’ils sont nés le même jour. Cette capacité demandée de connaître les spécificités de chaque enfant fréquentant le lieu d’accueil est incontournable. Il faut également construire des savoirs sur le groupe constitué par ces entités séparées. Mais qu’en fait-on au quotidien ? C’est bien dans cette faculté de rendre utiles, opérationnels ou créatifs ces particularismes que l’on reconnaît le praticien expérimenté.

Je travaille dans un Centre de Vie Enfantine, je suis donc encore dans l’action professionnelle. Et de l’action, avec les petits, il y en a.

Pensées de terrain : En vrac… Je me vois intervenir (agir) quand il y a un danger. Danger de chute, de blessure, de conflit qui dégénère, de morsure. Je me vois agir quand un enfant a un, des besoins : le bébé qui pleure parce qu’il a faim, sommeil. Cela signifie préparer le biberon, le changer, le mettre au lit. Ou bien le plus grand qui sautille sur place pour faire pipi : demander s’il a vraiment besoin d’aller aux toilettes (vérifier la bonne compréhension de son geste), aider ou non à défaire le bouton du pantalon (détecter l’urgence ou travailler l’autonomie fonctionnelle), l’accompagner s’il ne connaît pas bien l’endroit (le savoir), allumer la lumière s’il a peur du noir (connaissance de l’enfant), l’aider à s’asseoir s’il n’est pas à l’aise pour le faire seul (idem). Beaucoup d’actions dans tout ce qui est pratique : mettre la table, chauffer le dîner, préparer la peinture. Ces actions « se pensent » en fonction du but, et leur relation me semble assez simple. Si l’on veut manger, il faut mettre la table. Ça, c’est le premier temps. Pourtant, même si c’est simple, il arrive que tout ne roule pas si bien. Je peux mettre la table de manière différente suivant les enfants qui sont présents ou suivant leur âge : Essayez de donner assiettes et services à tout un groupe, puis d’aller chercher les plats à la cuisine ; le tintamarre qui s’en suivra ne sera pas négligeable : les assiettes seront devenues des chapeaux ou des tambours et les fourchettes des castagnettes. Il vaut mieux différer la mise en place.

Dans cette action-là ou dans celle-ci, et dans la manière dont on l’agit… se trouve une pensée en élaboration. Dans ces cas précis, je crois que l’expérience est d’une aide indéniable. Je vais utiliser ce que je sais du groupe d’enfants, de comment il se comporte pour décider de ma manière d’agir. Pareil pour le sommeil et le pipi. L’expérience m’est utile. J’interprète les signes. Face à ce que je connais déjà (les signes que peut donner cet enfant-là quand il a sommeil ou que peuvent donner les enfants en général quand ils doivent faire pipi), je puise dans mon « répertoire » qui me donne des pistes pour entreprendre mon action. En écrivant cela je vois encore une différence : le général/le particulier.

J’ai une connaissance globale du phénomène qui tient à mon vécu, à mon expérience que j’applique à l’autre. Par exemple, quand j’ai sommeil, je deviens grincheuse, de mauvaise humeur, impatiente. Souvent, les enfants quand ils ont sommeil présentent les mêmes symptômes que moi, mais en plus, ils se frottent les yeux, ils baillent, ils tombent etc. Sur cette idée générale des signes précurseurs du sommeil, se greffe ma connaissance actuelle de la personne (le particulier). Ygreck, quand il a sommeil, commence à sucer son pouce, il ne s’intéresse plus aux activités. Je lis « son sommeil » et je le couche. Je pourrais dire que j’utilise des « choses » des connaissances antérieures et que je les applique au moment opportun. Je lis les signes, je fais des liens.

D’autres fois, j’agis par tâtonnement, essais et erreurs. Prenons un enfant qui doit ranger des jouets, par exemple le puzzle qu’il vient d’utiliser. J’ai plusieurs manières de procéder :

– directif : « range ce puzzle ! » ou je le fais à sa place après lui avoir demandé deux fois de le faire parce que je réalise que nous sommes en train de monter en symétrie.

– Je lui dis pendant qu’il le fait, qu’il devra le ranger avant d’en prendre un autre.

– Je lui rappelle avant qu’il le prenne, qu’il devra le ranger quand il aura terminé.

– Je l’aide à le ranger. Etc…

Ma manière d’agir va dépendre bien sûr de plusieurs facteurs :

– Je suis pressée, il est 18h30, la garderie va fermer et je veux rentrer, je décide de le ranger pour aller plus vite.

– C’est un petit, je ne le connais pas bien et je ne suis pas sûre qu’il comprenne bien la consigne. Je vais l’aider, on va le ranger ensemble.

– C’est un enfant qui a de la peine à exécuter les consignes, je le fais aussi avec lui, je plaisante pendant le rangement, pour essayer de diluer ce côté obligatoire et montrer qu’on peut trouver du plaisir à faire ce genre de choses. Ou encore, je demande à un copain de l’aider.

– C’est un grand qui a besoin de limites, avec qui il faut négocier : « je range 2 pièces tu en ranges une, et on inverse ».

Ma liste pourrait être longue.

Prenons le cas d’un désaccord entre enfants : si je suppose que cela va dégénérer en conflit qu’est-ce que je décide de faire ? Intervenir de suite, laisser aller un moment, sur quel enfant va se porter ma remarque, mon geste ? Parfois, dans l’observation de quelques secondes, des stratégies différentes se dessinent. Je pense par exemple aux questions suivantes, le travail d’enquête cité plus haut se met en route: de qui vient l’agression ? Quels « outils » (langage, poids, âge, etc…) à disposition de l’agresseur, de l’agressé ? Mon intervention est-elle indispensable ? Mon action, comme ma non-action, vont dépendre de ma pensée et des connaissances à ma disposition.

De mon action va résulter un effet. Si l’action est suffisamment adéquate, le changement sera celui escompté et surtout en phase avec les différents intervenants. Si l’action n’est pas pertinente, l’état désiré ne sera pas atteint, un mal-être peut se dégager des personnes concernées (à nouveau encore faut-il le percevoir…). Le résultat de mon action peut se voir directement dans certains cas. Dans d’autres situations, le résultat de mon action ne peut pas être évalué dans l’instant. Il est parfois, et même souvent, impossible de mesurer les effets de mes paroles, de mes gestes dans l’immédiat. Les effets de l’action ne se verront que plus tard et là, la pensée, « le penser » est encore indispensable, important. Il faut revenir en arrière, reprendre ce qui s’est passé. Y réfléchir, trouver des pistes qui déboucheront sur d’autres actions.

Mes actions dépendent aussi du contexte, de la hiérarchie, des gens qui regardent.

Tenir au poste est différent. C’est peut-être ce que Molinier, Dejours ou Jobert qualifieraient de rapport subjectif au travail. Qu’est-ce qui fait que moi, Karina j’aime encore me lever le matin et me rendre à mon travail. Avoir du cœur au travail, envie d’y mettre du sien, avoir son travail à cœur.

Pour une séance d’évaluation avec ma direction j’avais, il y a quelques années, écrit ceci :

« Pour moi, travailler c’est souvent synonyme de plaisir, de découvertes, d’essais et d’erreurs fructifiantes. Travailler c’est rester souple de corps et d’esprit, c’est se demander de quoi demain sera fait sans l’appréhension de cette nouvelle journée (comprendre sans être en souci pour le lendemain) mais avec appréhension entendre compréhension… saisir par l’esprit nous dit “Robert le petit”. Travailler, c’est jongler avec mon savoir-faire, une idée par-ci, une idée par-là… un bon mot par-ci, un bon mot par-là… c’est aussi regarder avec sérieux cet enfant-là mettre des pailles dans des trous et je devrais plutôt dire tenter de mettre une paille dans un trou… puis, peut-être dans deux, peut-être dans trois jours ou trois semaines, cet enfant saura mettre des pailles dans des trous. C’est encore observer cette enfant-ci s’évertuer à tenter de revisser le mauvais bouchon sur la bouteille, pour finir par en prendre un autre et le visser avec cet air de triomphe qu’un regard attentif saisit de suite. S’émerveiller d’une posture, d’un index qui pointe, d’une voyelle qui nomme ton nom, s’intéresser encore et encore à ces progrès infimes que celle-ci mettra tant de temps à faire, ou déchiffrer que les progrès de celui-ci avaient caché ceux de celle-là.

C’est aussi avoir une bonne maîtrise de ce savoir-faire en situation : se taire, parler, aider, retenir, donner, ramasser, écouter, oser, partager, regarder, comprendre, redonner, reprendre, inverser, questionner, se questionner. Tous ces points mériteraient de se savoir-dire mieux : plus souvent, plus fort, moins cassant, plus haut et plus rond.

Ce savoir-faire ne tombe pas du ciel, il est ce que j’ai fait de ce qu’on m’a fait, il est ce que je fais de ce qu’on me fait. Il est ce que j’ai appris, ce que j’ai compris de ce que l’on a voulu m’apprendre, il est ce que j’ai pu apprendre de ce que je ne pouvais ou voulais pas comprendre dans les écoles, les villes/villages, les institutions, les familles ! Ce que j’apprends est ce qui organise mon travail. Quand je travaille, j’apprends et je réorganise mon savoir. Pas de répit, pas ou peu de séparation. Ce que je sais du monde, ma manière de voir le monde, ma manière d’être au monde a une incidence sur mon travail. Jour après jour. Cette maman qui pleure de placer son enfant n’est pas touchante juste parce qu’elle pleure. Elle est touchante parce qu’elle dit quelque chose du monde dans lequel on vit. Et ce qu’elle dit du monde dans lequel on vit me touche et alors je touche (j’essaie) un bout de ce monde pour le changer. »

Tenir dans le poste de travail a, pour moi, plus à voir avec ce que je nommerais les conditions et l’organisation du travail. Pouvoir envisager de travailler dans le métier pendant de nombreuses années demande aussi un exercice de réflexion en parallèle de la prise en charge au quotidien des enfants.

Par conditions de travail, j’entends donc autant le salaire accordé que l’espace dans lequel on évolue. Cela concerne autant un nombre acceptable d’enfants par groupe pour ceux et celles qui s’y collent, qu’une place accordée à la réflexion (temps de colloque, heures hors présence des enfants, formation continue) ainsi que la rétribution symbolique qui devrait les accompagner. (Se référer à ce sujet au jugement de beauté et au jugement d’utilité). Ces quelques conditions minimum évoquées (il y en a bien sûr d’autres) peuvent permettre à la personne de s’investir dans son travail en recevant en retour des espaces/temps où se ressourcer, ou encore construire la possibilité d’élargir une pratique existante.

Avoir du métier et être du métier c’est autant connaître les ficelles de ce dernier, ses tours de main que son lexique[5] spécifique.

Tenir au métier représente autant les aspects cognitifs que les aspects affectifs qui nous lient à celui-ci. Le plaisir que l’on a à l’exercer au quotidien, ce que l’on espère pouvoir changer, améliorer dans un futur proche.

Tenir dans le métier, c’est peut-être savoir trouver et pouvoir fabriquer des espaces de réflexion, d’élaboration, de respiration qui donnent et redonnent du sens à une pratique qui en même temps peut sembler répétitive, mais qui est remplie d’enjeux de taille pour le monde de demain.

Ces trois aspects sont irrémédiablement liés entre eux et faire vivre l’un c’est faire vivre l’autre.

Bibliographie

De Jonckheere, Claude, (2001), Agir envers autrui, Aubenas, Delachaux et Niestlé

De Jonckheere,Claude (2010), 83 mots pour penser l’intervention en travail social, IES

Delaisi de Parseval , Geneviève ; Lallemand, Suzanne, (1980), L’Art d’accommoder les bébés, Paris, Seuil.

Dewey, John (1967), Logique. La théorie de l’enquête, Paris, Puf.

Perrenoud, Philippe (1994), « Du formateur de stage au formateur de terrain : formule creuse ou expression d’une nouvelle articulation entre théorie et pratique ? » in : Clerc, F. et Dupuis, P.-A. (éd.) Pratiques et Formations. Rôle et place de la pratique dans la formation initiale des enseignants. Nancy, CRDP de Lorraine.


[1] De Jonckheere, Claude (2001), Agir envers autrui, Aubenas, Delachaux et Niestlé ;De Jonckheere, Claude (2010), 83 mots pour penser l’intervention en travail social, Genève, IES.

[2] Dewey, John , (1967), Logique. La théorie de l’enquête, Paris, Puf.

[3] Par « bien », j’entends tenir le poste de manière certes efficace, mais aussi de manière ajustée en tenant compte de soi (son confort, ses valeurs, sa temporalité par ex.), mais aussi en tenant compte de l’autre, de ses forces et ses faiblesses. Tout cela sans oublier l’équipe au sens large, l’institution et ses manières de travailler.

[4] Delaisi de Parseval, Geneviève ; Lallemand, Suzanne (1980), L’Art d’accommoder les bébés, Paris, Seuil.

[5] Par lexique spécifique j’entends ce vocabulaire que l’on utilise et que l’on comprend entre nous comme : mettre l’enfant au centre, monter en symétrie, passer le relais, contenir un enfant, adaptation d’un enfant, etc.

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