La femme, la mère et la crèche au XIXe. Entre assujettissement et émancipation

« La crèche est un simple encouragement à la paresse et à l’indifférence des mères : c’est une école de mauvais allaitement artificiel. Delenda est : Il faut détruire les crèches » (Renaud-Badet, 1909, p. 73).

Au milieu du XIXe siècle, la Société des Crèches construit un projet de reconquête religieuse et de régénération de la classe ouvrière où la peur sociale se transforme en contrôle de l’éducation des enfants pauvres pour former des travailleurs consciencieux et dociles. Car il s’agit bien de construire une paix sociale durable, d’en finir avec les émeutes et les révolutions. A travers l’enfant c’est la femme ‒ mères et berceuses[1] – et conséquemment la famille, que l’on sensibilise à de nouvelles valeurs[2].

La crèche participe d’un mouvement général allant de la découverte à la systématisation des soins en direction du jeune enfant. Une transmission, une diffusion des connaissances est voulue, la seule à même de décoller des pratiques anciennes et populaires, dont certaines sont jugées dangereuses pour la santé de l’enfant et tout au moins pernicieuses pour son éducation. La crèche apparaît alors comme une école protéiforme, ouverte à tous. Quel que soit le milieu, la profession, quel que soit l’âge, le sexe, chacun y trouvera de quoi nourrir sa formation personnelle ou professionnelle : « Les jeunes mères de la classe aisée y trouvent une excellente école de soins maternels et hygiéniques ; leurs enfants une occasion de bienfaisance – et la bienfaisance est un des principaux éléments de toute bonne éducation – les médecins, une clinique utile, même à l’enfant du riche ; les berceuses, les mères pauvres une école de propreté, de charité ; l’économiste, un des meilleurs moyens d’étudier le paupérisme et ses causes, dans ses effets […] », affirme Firmin Marbeau[3], promoteur de la crèche, lors de l’installation du comité définitif des crèches du Ier arrondissement de Paris (Bulletin des Crèches[4], N° 7-9, 1846, p. 207).

Pour autant, derrière la vision idéalisée de renouveau sociétal, la création des crèches en 1846 suscite d’interminables controverses et des conflits idéologiques, où se lisent des enjeux de pouvoirs, où s’entremêlent les rapports sociaux, rapports de domination, de classe et de sexe.

La crèche et le travail féminin, en prise avec l’idéal féminin…

L’idéal de la femme, mère et épouse assignée à la sphère domestique, est largement repris et investi par Marbeau. C’est l’attitude ambiguë d’un homme qui encourage le travail des femmes du peuple, tout en prônant le modèle de la mère, bonne épouse et ménagère, reine dans son intérieur domestique. C’est aussi sans doute la seule façon dont il peut, dans le contexte de l’époque – même Proudhon prônait l’éviction des femmes des ateliers et des manufactures – promouvoir le travail des femmes et la construction des crèches. A bien des égards, la crèche peut apparaître comme un moyen de contrôle sur les classes populaires. A travers la transmission – imposition – de règles de puériculture, à travers le contrôle et la surveillance des familles populaires, l’institution contribue au travail de normalisation des individus (Boltanski, 1969 ; Donzelot, 1977). Mais conjointement, elle trouve un rôle social d’importance : son action sanitaire (hygiène et alimentation) et son soutien matériel (don de vêtements, faible participation financière) améliorent les conditions de vie des familles. Et celles-ci étaient loin de se soumettre au diktat des crèches. Les règles sanitaires par exemple (lavage des enfants) suscitaient des conflits récurrents entre mères et berceuses[5].

En même temps que leur émergence, naît un courant d’opposition aux crèches, lié à des conceptions différentes de la famille, à la peur de l’émancipation féminine et à l’effritement de l’autorité paternelle entamée par la Révolution de 1789. A cet égard, les gardeuses, sevreuses, nourrices, représentations symboliques de la mère dont elles perpétuent les pratiques, ne constituaient aucunement un danger quelconque quant à la place de la femme dans la société et aux normes sociales afférentes. La Société des Crèches n’aura de cesse de tenir un discours vigilant sur le lien mère-enfant, l’importance de la famille et des liens conjugaux. Le Manuel de la Crèche publié par Marbeau en 1853 en porte toute l’empreinte. Les attaques contre les crèches furent parfois haineuses ou tout au moins rageuses. Elles se prolongèrent dans le temps[6]. Dix ans après la création des premières crèches, le docteur Rigaud évoque les crèches comme « anéantissement de tous les liens de famille » (rapporté par le BC, N° 10-12, 1855). Qu’y avait-il de si indécent à confier son enfant à une institution, dont les promoteurs s’étaient attaché le service de femmes, étant bien là dans la reproduction d’un modèle convenu, pour s’occuper des enfants ? C’est que le projet des crèches, conservateur à bien des égards, apparaît dans le même temps « révolutionnaire » sur certains points, notamment quant à l’affirmation de la fonction économique de la femme et de son insertion « dans l’emploi ».

La crèche apparaît pour ses contempteurs comme une institution qui va à l’encontre de l’idéologie bourgeoise, car elle modifie la place de la femme dans la société et semble favoriser ainsi l’expression d’une forme de féminisme, donc d’émancipation. Les tenants des crèches s’appliquent à démontrer l’inverse : la crèche contribue à imposer les normes familiales bourgeoises et favorise l’allaitement maternel. Mais c’est un mari défaillant qui est mis en exergue pour justifier l’existence des crèches. L’homme (des classes populaires) est comme effacé du discours des promoteurs de la crèche, souvent réduit à des représentations misérabilistes : « Faites cette question à la porteuse de pain, à la blanchisseuse, à l’ouvrière en journée, à toute autre mère qui, dès le matin, va travailler pour vivre, elle répondra : “Si je m’occupe de mon enfant, qui fera mon ouvrage ? Et si mon ouvrage ne se fait pas, qui me donnera pour subsister et faire subsister l’enfant ?” – Votre mari… “Il est malade… il est sans ouvrage… il est paresseux… il est ivrogne… il m’a abandonnée… il est mort” ! » (Marbeau, 1853/1857, p. 11). Parallèlement est véhiculé un projet de famille laborieuse idéale où les deux parents travaillent.

La crèche enseigne à l’enfant le respect de la famille. D’Escodeca[7], récusant l’accusation d’atteinte au sentiment maternel répond que rien n’est dit du lien maternel pour les mères riches qui donnent leur enfant en nourrice au loin ou « sur lieu ». Pour défendre la crèche, accusée d’affaiblir les liens de famille, la Société des Crèches répondra inlassablement qu’au contraire, elle les préserve et que, sans la crèche, la mère laisserait soit son enfant seul au domicile toute la journée, soit le donnerait à garder à une autre pauvre femme, dans des conditions dangereuses pour sa santé. On reprochera aussi à cette institution d’alléger la maternité des pauvres et de les encourager ainsi à « pulluler ». Mais la parade a été prévue. La crèche est payante pour « raffermir le lien de la maternité », affirme le docteur Siry : « “Rien ne peuple comme les gueux”, a dit brutalement Diderot, rappelle-t-il ; “un enfant de plus n’est rien pour eux : la charité publique les nourrit.” Ce calcul, il fallait l’éloigner de la pensée des parents » (BC, N° 1-3, 1847, p. 37).

Pour les opposants aux crèches, l’enfant doit être gardé au foyer domestique et c’est là la limite morale de la crèche. Dès lors, celle-ci représente une atteinte portée au lien de la famille et la seule solution s’avère être les secours à domicile : « Gardez-vous de la dégoûter du foyer domestique, qui est son vrai domicile […] que si l’institution des crèches doit s’étendre et prospérer en entrant dans nos mœurs sans affaiblir les sentiments de la maternité, sans relâcher les liens de la famille, sans détruire les douces affections qui sont la première éducation de l’enfance, sans faire redouter à la société que les enfants, livrés à une existence étrangère, ne deviennent une génération sans aucun lien, sans aucun frein, sans foyer paternel, dont l’existence commence presque toujours par le vice et se dénoue trop souvent par le crime, laissons à la charité privée le soin d’en faire seule l’essai et d’en démontrer le succès » (p. 80). On comprend par ces propos que le projet des crèches porte fondamentalement atteinte à la représentation naturalisée de la famille et de la femme, ignorant que la famille, comme la définition sexuée des rôles sociaux, sont avant tout des constructions sociales.

La question du travail des femmes est bien évidemment directement en lien avec le rôle social de la femme et le débat autour du sentiment maternel et des liens familiaux. Des oppositions diverses s’élèvent. Certains affirment que les mères recourent aux crèches pour se livrer à l’oisiveté et à la débauche. Certaines femmes, par ce temps libre dégagé, satisferaient leurs ambitions personnelles. Tous les fantasmes s’expriment autour de ce à quoi pourrait bien se livrer une femme du peuple dégagée de sa progéniture. Plus ou moins implicitement, la question du contrôle de la sexualité des femmes se dit là[8].

A aucun moment, Marbeau ne changera de cap, ne cessant d’affirmer la nécessité du travail féminin dans les classes pauvres. « On disait : la Crèche encourage la paresse et le vice. Elle répond : j’excite au travail ; je combats le concubinage […] » (BC, N° 5, 1846). Marbeau oppose aux objections le contrôle de la nécessité et de la réalité du travail de la femme pour admettre l’enfant en crèche. Et prenant le contre-pied de ces critiques, la trésorière de la crèche Saint-Louis d’Antin affirme qu’« il n’y a plus que les femmes qui, au contraire, repoussant l’ouvrage, préfèrent garder leurs enfants, afin d’avoir un motif pour ne rien faire et se ménager un moyen plus sûr d’exciter la pitié […] »[9] (BC, N° 7-9, 1847, p. 143). Dans ces contestations apparaît le modèle bourgeois que les critiques voudraient voir imposer à toute la société : l’inactivité des femmes. C’est tout le ressort idéologique quant aux rôles sexués et aux rapports de sexe qui apparaissent dans les critiques faites aux promoteurs des crèches. Le but premier de la crèche, libérer le temps et les bras de la femme pour qu’elle puisse travailler, est l’occasion pour Charles (1846) de développer ses arguments contre le travail des femmes : « Nous n’admettrons jamais que la femme, tant à cause de la délicatesse de son organisation que de son utilité dans l’intérieur du ménage et de son indispensable présence à côté de ses enfants, ait été créée pour le travail. […]. Une mère de famille dévouée et laborieuse dans son intérieur, contribue dans une bien large proportion au bien-être de la communauté ; et que l’homme qui lui doit, dans toutes les circonstances de sa vie, un véritable appui moral, riche de consolation et d’encouragements, l’arrangement et la propreté de son logis, la préparation de ses aliments, l’entretien et la confection de ses hardes, et l’éducation difficile et fatigante de ses enfants, serait injuste et tyrannique s’il exigeait d’elle d’autres labeurs » (p. 6). Ce but premier est « injustifiable, parce qu’il implique pour la femme une fausse destination, celle du travail au dehors de chez elle ». Les crèches, développées à grande échelle, donneraient alors « à nos descendants une très fausse idée du sort réservé à la femme par son Créateur » (Charles, 1846, p. 6). Les arguments vont crescendo : la nature, le biologique et, en dernier ressort, le divin imposent à la femme de rester chez elle. Et l’auteur propose plutôt de donner du travail à domicile aux mères, de donner aux mères le prix, voire trois fois le prix, d’une place en crèche pour qu’elles s’occupent elles-mêmes de leur enfant. Ce sont bien ces conditions nouvelles d’éducation, institutionnelles, collectives, qui choquent : « Les crèches viennent en aide à une société qui ne tend qu’à changer la mission de la femme, mission qu’elle avait reçue de Dieu, et qui portait l’empreinte du sceau céleste dans la grandeur et le caractère sacré de ses devoirs, en une destination vile et animale. […]. Créée pour servir à l’homme de compagne, de soutien moral dans l’adversité, pour nourrir et élever ses enfants, et leur inspirer les nobles sentiments dont le cœur d’une mère dans la plus infime condition n’est jamais entièrement dénuée, elle a été dégradée et méconnue ; les hommes, hostiles à la divinité, ont voulu avilir la dignité de son rôle, et ne plus faire d’elle qu’une machine de travail, qu’un simple instrument à produire, la renvoyant durement à l’ouvrage aussitôt qu’elle a mis bas quelque pauvre et misérable rejeton de la race humaine » (p. 9). Image d’une société dévoyée et dégénérescente qui perd son humanité et fourvoie sa spiritualité, le travail de la femme est marqué du sceau de l’infamie, et symptôme de l’anomie sociale.

La femme dans la société au milieu du XIXe siècle

C’est un fait, le XIXe siècle marque l’affirmation du féminisme, lequel s’accompagne, entre autres, de la revendication du droit à l’instruction, de l’indépendance de la femme, de sa participation à la vie politique, intellectuelle et sociale, en lien avec les utopies socialistes (saint-simonisme…) qui refondent l’organisation de la famille, le rôle de la femme et l’éducation des enfants. Le mouvement catholique n’est pas en reste et accompagne aussi le renouveau du féminisme. Jusqu’à Monseigneur Dupanloup (1879), partisan du travail intellectuel pour la femme du monde. Dans le journal catholique l’Ami, les biographies féminines sont fréquentes.

Néanmoins, le féminisme, né après 1830, est encore discret et marginal par rapport à la masse féminine silencieuse, quand il ne provoque pas la raillerie, voire l’opprobre ou les persécutions. Ce siècle voit le développement du prolétariat féminin urbain qui s’accompagne d’une exploitation souvent exacerbée, en même temps que l’avènement d’une maternité magnifiée et le renforcement d’un modèle patriarcal de la femme au foyer.

Pour certaines femmes, le travail revêt une dimension d’émancipation et de défi. Mais pour les classes indigentes et prolétaires, il reste source d’oppression. Certes, le travail des femmes n’est pas contemporain de ce siècle. Il a toujours existé sous des formes différentes. Ce qui est nouveau au XIXe siècle, c’est le travail en usine et ses désastreuses conséquences sociales et sanitaires.

Si le droit et la reconnaissance du travail des femmes leur ont souvent été contestés, ces discours prennent tout au long du XIXe siècle une certaine ampleur. Le travail des femmes est dénoncé comme une anomalie sociale issue du capitalisme industriel par l’idéologie dominante (Blunden, 1982). Concernant les conditions du salariat, l’Etat n’intervient pas dans les rapports patrons‒ouvriers et la législation du travail est quasi nulle. Et, ce sont ces conditions de la femme qui travaille et toute une idéologie afférente au statut et à la place de celle-ci dans la société qui constitueront, implicitement et souvent explicitement, la toile de fond du débat sur la légitimité du travail féminin.

Pour exemple, l’opinion des ouvriers est ambiguë. Ils ne voient pas toujours les ouvrières, qui partagent leurs dures conditions d’existence, d’une façon très positive. Elles sont souvent perçues comme des concurrentes[10]. En effet, les patrons rémunèrent moins le travail des femmes et ont tendance à féminiser leurs usines pour accroître leurs gains. Villermé (1840) constate cette féminisation et estime que, dans l’industrie textile, la moyenne des salaires féminins ne dépasse pas 50% de celle des salaires masculins. De plus, cette féminisation des fabriques est utilisée comme moyen de chantage de la part des patrons, pour faire taire les syndicats et inciter les ouvriers à plus de soumission. Ce sont là les « stratégies patronales » qu’évoque Rebérioux (1980). En conséquence, sous couvert de protéger la femme de conditions de travail trop éprouvantes physiquement et/ou moralement et à travers le souhait de reprendre à leur compte le modèle bourgeois où le salaire de l’homme suffit à entretenir la famille et permet à la femme de ne pas travailler, les ouvriers veulent le plus souvent renvoyer les femmes à la sphère domestique. Leur salaire, comme celui des enfants, est considéré comme un salaire d’appoint.

Le travail de la femme est aussi une question de moralité. La mixité dans les usines est dénoncée comme source de dépravation des mœurs. Pourtant, cette mixité existait déjà dans les anciennes formes de travail. Mais l’entrée en masse des femmes dans l’industrie s’accompagne de migrations : venant de zones rurales, les femmes arrivent en milieu urbain sans logement. Elles sont hébergées dans des sortes d’internats créés à côté des manufactures. Ces femmes suscitent souvent le mépris. Comment peuvent-elles travailler et assurer correctement leur rôle de mère, mais aussi d’épouse ? La femme disparaît derrière l’ouvrière, « antithèse de la féminité » (Perrot, 1991). Mal considérée, sa présence au sein des émeutes, notamment en 1846-1848, effraie la bourgeoisie.

Cette question du rôle social féminin implique plus généralement que le travail de la femme ne peut être qu’épisodique, c’est-à-dire qu’il se conçoit alors avant le mariage et, en tout cas, avant d’avoir des enfants, et après leur éducation assurée, « situation qui reflète bien la priorité de leur engagement maternel et domestique sur une identité professionnelle à long terme » (Scott, 1991, p. 420) si une telle identité pouvait se concevoir, vu les changements fréquents d’emplois et les périodes de chômage. Par ailleurs, le travail féminin n’est envisageable que pour une certaine classe sociale, la plus pauvre : dans la situation économique, telle qu’elle était, le travail de la femme est indispensable à la survie du ménage ouvrier. Ainsi, au cours du XIXe siècle, c’est à un véritable rappel à l’ordre de la femme que l’on assiste. La fréquente analogie entre le comportement des animaux et celui de la femme, la constante référence à la nature sont là pour lui rappeler qu’elle est dénaturée. Le retour à l’allaitement maternel, l’amour maternel sont portés au pinacle. Le XIXe siècle est le siècle du couronnement de la mère, de son assignation à la sphère domestique. Les promoteurs de la crèche collective se servent de ce discours tout en promouvant le travail féminin ouvrier.

Les femmes des milieux aisés, elles, ne peuvent travailler sans risquer le déshonneur. Le discours des bourgeois libéraux vise à maintenir la division sexuée des rôles féminins et masculins au sein de la société et de la famille. Le Play (18 ?/1941) défend ainsi la définition patriarcale du statut de la femme. Celle-ci trouve une place centrale au sein du foyer domestique, contribuant à la prospérité du ménage et au bonheur de tous les membres de la cellule familiale. Au-delà de la famille, c’est la société tout entière qui dépend des aptitudes de la femme à assumer ses fonctions : « La direction affectueuse imprimée par la mère aux habitudes, à l’intelligence et aux sentiments de la première enfance exerce également une influence souveraine sur l’avenir de la race. Elle constitue une haute fonction de la vie privée dans toute société qui se préoccupe de faire régner l’ordre moral » (p. 87). La pensée de Le Play ne peut que condamner le travail non domestique comme un non-sens, comme un fait contribuant à la déstructuration de la société : « C’est désorganiser le foyer domestique que d’enlever la femme à ce domaine pour la charger des intérêts du dehors […]. Toutes les nations qui ont eu de l’ascendant et de la durée condamnent les utopies qui portent quelques novateurs modernes à prêcher l’admission des femmes aux fonctions de la vie civile. […] Le foyer domestique est un petit monde complet dont le gouvernement réclame toute la sollicitude de la mère de famille, tandis que le père porte au dehors son activité […]. Les citoyens accomplissent d’autant mieux leurs devoirs publics et privés qu’ils sont plus certains de trouver au logis la distraction et le bien-être. C’est par là que l’affection, la vertu et l’intelligence de la femme réagissent de la manière la plus directe sur la prospérité et la grandeur de l’Etat » (pp. 87-88).

Ce modèle, somme toute antique, de la répartition sexuée des rôles sociaux, ne peut être dépassé par les femmes (de la bourgeoisie) qu’en le réinvestissant, qu’en le traduisant dans la sphère publique. La philanthropie, gestion privée et féminine du social, traduit cette appropriation de l’espace public par les femmes. Elles ne s’impliquent donc dans la vie active que bénévolement et sous couvert d’une orientation charitable, ne touchant pas à la sphère productive. Dès lors, le modèle idéalisé de la relation conjugale et de la maternité leur est utile pour occuper les fonctions symboliques.

Le devoir social de la femme catholique devient un thème de réflexion fréquent au XIXe siècle. De nombreux manuels décrivent la mission sociale de la femme, notamment de la femme chrétienne. Sous cet angle, l’horizon féminin ne se réduit pas au foyer conjugal mais conforte l’affirmation que « le modèle féminin catholique est exclusivement celui de l’épouse et de la mère » (De Giorgio, 1991, p. 175). Le don d’aimer que la femme aurait reçu de Dieu est un antidote à la douleur, à la souffrance, au malheur, le sien propre mais surtout celui d’autrui. La femme, par ses qualités divines et naturelles, serait prédisposée à éponger la misère du monde social. C’est même un devoir chrétien. Le don d’aimer est aussi un besoin du don. Ses filles sont associées à cette action, à ce soutien tant moral, spirituel que matériel auprès des pauvres. C’est auprès de leur mère qu’elles font cet apprentissage. L’Eglise voit aussi en l’action de ces femmes la possibilité de convertir les familles populaires à la religion.

La femme bourgeoise, « dame patronnesse », directrice de la crèche, ne saurait être rémunérée : « Pour ce “travail d’amour”, les femmes ne doivent attendre aucune rétribution ; faire le ménage de la cité est aussi gratuit que celui de la maison. Des grands philanthropes, honorés, décorés et statufiés, on se souvient ; on a oublié la plupart des femmes qui, du moins dans le premier tiers du siècle, n’organisent pas d’assemblées et ne rédigent pas de rapports » (Perrot, 1991, p. 469).

L’activité philanthropique de ces femmes renvoie à un don de soi et reste dans le domaine de l’improductivité, au sens marchand. C’est par la femme philanthrope que les classes aisées vont opérer un contrôle sur les classes ouvrières. Dans le même sens, l’Eglise, de plus en plus contestée, réaffirme sa présence auprès des classes populaires par l’intermédiaire des femmes de la bourgeoisie. En leur proposant de prendre en charge la création et la direction de crèches, la Société des Crèches les fait ainsi participer au jeu de la domination (Bourdieu, 1998).

De nombreuses associations, œuvres, ligues diverses de bienfaisance appellent ainsi les femmes de la bourgeoisie à s’investir auprès des plus démunis. C’est l’avènement de la « maternité sociale » propre au XIXe siècle, riche en fléaux de toutes sortes : famines, épidémies, guerres, crises économiques, misère. Ce travail social se fera sous la houlette des hommes. En ce sens, « les femmes […] ne prennent pas la parole en public et n’organisent donc pas d’assemblées générales. Même à l’époque où les sermons de charité, puis les ventes et loteries de charité leur en tiennent lieu, elles n’y participent qu’en figurantes muettes » (Duprat, 1997, p. 627). L’émancipation a ses limites. On retrouve cette répartition des tâches au sein du fonctionnement de la Société des Crèches : le conseil des dames inspectrices (qui s’occupe du service intérieur) représente « la sollicitude et les soins multiples de la mère de famille ; tandis qu’au Comité général sont réservées la direction et l’autorité paternelle » (comité composé d’hommes dont Marbeau, le curé, les médecins, le trésorier…) (BC, N°4, 1846, p. 119). La direction paternelle est censée mieux s’accommoder des questions d’argent : « Des hommes administreront mieux des établissements et des sommes considérables ; mais c’est à celles qui savent se dévouer et supporter les plus mauvais procédés, sans cesser d’aimer, qu’il appartient de persuader les classes inférieures de se soumettre à une vie rude, remplie de privations et de douleurs, sans pour cela cesser d’espérer et de croire à la Providence »[11] (Compte-rendu de l’Association de charité du Ier arrondissement, 1834, p. 3).

La crèche, expression du socialisme, ou de la possible émancipation sociale et politique

Le risque de récupération du projet des crèches par des matérialistes athées est perçu par certains. Ils s’en émeuvent. Charles (1846) – encore lui ! – s’insurge contre les crèches dans lesquelles il voit « de graves dangers pour l’avenir du prolétaire ». Il poursuit : « Si les ministres de la religion ne savent d’autres remèdes à nos maux que de faux et impuissants palliatifs, ils seront vaincus par les hardis réformateurs qui élèveront leurs systèmes sur les ruines des autels. Si les gouvernements ne sont pas plus habiles à affranchir le peuple des tentations de la faim et de l’humiliation des aumônes, ils aideront eux-mêmes au triomphe de leurs ennemis, qui offrent au peuple affamé et humilié des moyens de bien-être et de réhabilitation » (p. 3).

C’est bien parce qu’il analyse les crèches comme un essai d’éducation socialiste qu’il en dénonce l’expérience. Quelques décennies plus loin, Godin (1871), disciple de Fourier et ami de Considérant, se positionne en faveur de l’éducation collective : « Ah combien ils se trompent ceux-là qui veulent laisser à la famille pauvre, qui a besoin de son travail de tous les jours et de tous les instants, la charge des fonctions les plus assidues, les plus délicates, et les plus saintes de la vie ! Quel contresens de vouloir que l’enfant ne relève que de sa famille, quand les pères et mères ne peuvent obtenir le salaire qui les fait vivre que par des occupations actives, les obligeant à négliger les soins dus à l’enfant ! » (p. 434).

Perdure l’opposition éducation familiale/éducation collective, révélatrice des positionnements et des convictions politiques. Charles (1846) fustige encore : « On a pris pour une création de charité chrétienne, ce qui n’était qu’une branche du système de Fourier. La Fondation des Crèches est une feuille détachée de la doctrine du chef des phalanstériens ; […] les disciples du maître doivent se réjouir de voir les personnes les plus opposées à leurs doctrines, travailler involontairement à la réalisation du phalanstère » (p. 10).

La présence de Jules Delbrück, protestant, disciple de Considérant et de Fourier, au sein de la Société des Crèches dont il est le secrétaire général adjoint et au sein du comité de la première crèche de Chaillot, permet certainement cet amalgame. Delbrück se prononce d’ailleurs contre la gestion exclusivement catholique de la crèche. Et Charles (1846) livre encore un pamphlet contre les pratiques philanthropiques féminines : « Les personnes qu’il sera surtout difficile d’éclairer sur le vice de leurs intentions, […]. Ce sont principalement les dames qu’une innocente politique a décoré du titre pompeux d’inspectrices, de membres du comité, de présidentes ou de trésorières […], poursuit-il. (Aux femmes) que l’âge ou le repentir ramène tardivement dans la religion ; la charité de ces dernières est froide et sèche comme leur propre cœur ; elles visitent le pauvre à des heures fixes, c’est un des emplois de leur journée ; elles pénètrent dans la demeure de l’indigent plutôt comme des juges sévères que comme de saintes et pieuses servantes du Seigneur ; elles s’informent du repas de la veille afin de s’assurer qu’il n’y a rien eu que le strict nécessaire, et rien de plus ; elles interrogent la mère sur la conduite de ses enfants, prennent des renseignements sur ses mœurs et sur celles de son mari ; elles grondent de ce qu’on ne trouve point le temps d’aller plus souvent à l’Eglise, et après les reproches les plus durs et les sermons les plus humiliants, elles se font souvent exhiber le certificat du confesseur avant de remettre les bons pour le pain de la semaine […] » (p. 12). Si les crèches venaient à fermer, « comment occuperaient-elles leur temps ? Par quoi remplaceraient-elles ces petits plaisirs si enviés, si disputés, de surveiller, d’administrer, d’inspecter les Crèches, cet ineffable bonheur de rédiger des rapports, d’apposer des signatures, de se former en comité, de délibérer comme des sénateurs, de nommer des présidentes et des trésorières »[12] (p. 13). C’est une critique sans concession du travail bénévole des femmes de notables qui, selon Charles, singent les rôles sociaux des hommes, se piquent d’imiter les sociabilités masculines, bref, qui sortent outrageusement de leur condition sexuée. En même temps, Charles revendique un rapport autre au traitement de la pauvreté et pour lequel il dénonce les pratiques philanthropiques des crèches qu’il juge humiliantes : « Nous ne sommes point de ceux qui voient avec peine les malheureux s’affranchir de la tutelle des riches, qui aiment à tenir ceux qui souffrent en charité perpétuelle, en tutelle indéfinie, et qui veulent bien donner du pain au pauvre, pourvu que le pauvre le demande toujours à genoux (p. 13) ; tous les établissements de charité créés de nos jours témoignent du même mépris de la part du riche de tout ce qui touche à la dignité morale et intellectuelle du pauvre » (p. 15). Enfin, selon Charles, ce système de solidarité collective nuit au sentiment de la solidarité intergénérationnelle (jeunes enfants et vieillards). L’indifférence du père qui place son enfant quand il est jeune produit plus tard l’ingratitude du fils qui place le père lorsqu’il devient vieux. Ces systèmes d’assistance produisent selon lui la vénalité et la rupture des liens familiaux.

Ces réactions et ces attaques montrent à quel point le projet des crèches, malgré l’intention conservatrice de ses promoteurs – en sociologie, on parle d’effet pervers –, était porteur d’utopie et de changement social, que sa portée réformiste souterraine annonçait l’Etat-providence de demain, réinterrogeait les liens sociaux organisés autour de la dette et du don, dernier point qui suscitait inquiétudes et fantasmes quant au devenir des relations sociales au sein de la famille, et au devenir même de la famille et de la société. Au mitan du XIXe siècle, la crèche a entrouvert la porte d’une possible émancipation – toute relative – sociale, imaginaire et politique – de la femme vis-à-vis de l’homme, par le travail, tout en ouvrant d’autres formes d’assujettissement au capitalisme industriel naissant.

Mais la question de l’émancipation féminine, à travers, entre autres, la garde des enfants, cache bien des disparités. Il faudrait aussi pouvoir discerner de quelle(s) forme(s) d’émancipation parle-t-on (juridique, intellectuelle, politique, sociale, etc.). Pour les femmes des classes indigentes et ouvrières d’alors, évoquer une émancipation par le savoir, la liberté ou l’épanouissement personnel serait évidemment hasardeux. Aussi bien qu’une émancipation par le travail. Les conditions objectives de travail d’alors relèvent plutôt de l’aliénation et de l’assujettissement. Si l’on pense l’émancipation comme rupture de la division dominants/dominés (hommes/femmes ; « riches/pauvres »), ou comme réconciliation entre travail et création, au sens d’une émancipation marxiste du travail, on ne peut que renoncer à l’évoquer. La crèche du XIXe siècle, centrée sur la discipline des corps et des mœurs (Bouve, 2016, 2010), ne semble pas davantage ouvrir la voie vers une émancipation. Car on ne peut guère affirmer, malgré le projet novateur de Delbrück (1846) pour les crèches, que les utopies éducatives en cours au XIXe siècle – qui visent à l’émancipation sociale et collective et à la transformation sociale – entreront dans les pratiques des crèches. La crèche est loin de libérer la femme des contraintes sociales – dont l’enfant – de son existence. Non, point d’utopie ou de travail créateur, mais un temps contraint qui organise la vie des femmes des classes ouvrières. Les femmes de la bourgeoisie, elles, occuperont leur temps libre en se donnant des contraintes philanthropiques. Nécessité d’un côté, liberté – conditionnée par les hommes – de l’autre. Mais on peut néanmoins avancer qu’une forme d’émancipation et qu’un accès à leur propre autonomie émergent, quant à l’affirmation de leur place au sein de la société. L’institution crèche, malgré elle, participe à l’émancipation des femmes du peuple en contribuant à une lente, mais certaine, déconstruction et réélaboration du rôle social de la femme, en lui permettant de conquérir une nouvelle identité. Certes la conquête de l’autonomie – au XXe siècle, se passer de l’autorisation du mari pour travailler, détenir un compte en banque, droit de vote, etc. – sera longue, mais elle est ouverte. Une émancipation peut advenir, où la femme se soustrait à la tutelle morale et à la dépendance économique du mari. Dans le même temps, elle se meut dans l’espace public. La crèche émerge en France au XIXe siècle, sur le terreau d’une effervescence politique (révolution et Monarchie de Juillet en 1830, révolution de février 1848 et avènement de la Seconde République, coup d’Etat de Napoléon III en 1851, Second Empire en 1852, puis IIIe république en 1870, après la guerre franco-allemande) et de relations sociales et politiques extrêmement conflictualisées. S’exprimaient à travers ces événements, des revendications émancipatrices à toute l’échelle de la société. L’assignation des femmes – et des enfants – à la sphère domestique peut laisser place à la « spontanéité de l’agir » (Joas, 1992), fondement émancipateur, qui ouvre à de nouveaux idéaux, à de nouvelles valeurs.

Catherine Bouve

Eléments de bibliographie

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[1] Sur ces « professionnelles » des crèches, cf. Bouve, Catherine, « Une généalogie en héritage : notre ancêtre la berceuse », Revue [petite] enfance, N° 121, septembre 2016, pp. 94-103.

[2] Cet article s’appuie sur C. Bouve, L’utopie des crèches françaises au XIXe siècle : un pari sur l’enfant pauvre, Bern, Peter Lang, 2010.

[3] Avocat, philanthrope issu du catholicisme social et adjoint au maire du Ier arrondissement de Paris. Il publiera différents ouvrages pour promouvoir le développement des crèches.

[4] Noté BC par la suite.

[5] Par exemple, les croyances populaires attribuent des vertus protectrices à la crasse. Ainsi la fontanelle des nourrissons n’était jamais nettoyée pour les protéger de la maladie et de la mort. A cette époque, les logements n’étaient équipés ni d’eau courante, ni de salle de bain.

[6] Elles perdurèrent, en sachant se renouveler – à travers les travaux sur l’hospitalisme – jusqu’après le milieu du XXe siècle (Bouve, 2015).

[7] Escodéca de Boisse (1802-1865) est commerçant, franc-maçon, philanthrope se consacrant aux crèches, secrétaire à l’Imprimerie nationale.

[8] Ce regard moral se poursuivra au moins jusqu’au XXe siècle, jusqu’à l’avènement de l’accès aux modes d’accueil en termes de droit universel, indépendamment du statut professionnel des parents. Mais du discours aux faits, il reste encore un écart.

[9] A l’occasion, les promoteurs de la crèche accuseront les familles qui s’absentent de la crèche de préférer garder leurs enfants pour mieux se livrer à la mendicité.

[10] En 1886, les ouvriers belges se prononcent contre les crèches afin d’éviter la concurrence salariale féminine (Masuy-Stroobant & Humblet 2004).

[11] La Providence, rhétorique du discours catholique, relève bien de l’ordre divin et doit faire taire toute velléité d’émancipation. Chacun doit rester à sa place, à la position sociale impartie par cet ordre. Dans l’ombre, la Providence agit dans le sens du plus grand bien, du plus parfait et un lien invisible réunit tous les hommes entre eux, les riches et les pauvres, les dames patronnesses et les femmes indigentes… A cet égard, le catholicisme social du XIXe est imprégné par la philosophie leibnizienne.

[12] En 1883, Lafargue raillera ces mondanités philanthropiques : « Les femmes du monde vivent une vie de martyr. Pour essayer et faire valoir les toilettes féeriques que les couturières se tuent à bâtir, du soir au matin elles font la navette d’une robe dans une autre pendant des heures, elles livrent leur tête creuse aux artistes capillaires […]. Sanglées dans leurs corsets, à l’étroit dans leurs bottines, décolletées à faire rougir un sapeur, elles tournoient des nuits entières dans leurs bals de charité afin de ramasser quelques sous pour le pauvre monde. Saintes âmes ! » (1883/1979, p. 137).

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