Le 132 esquissé

Le dossier

Thévoz décrit l’école dont nous avons hérité comme engoncée dans un utilitarisme bourgeois qui date du XIXe siècle. Axée sur le rendement productiviste et une concurrence effrénée, elle s’engage dans des impasses qui empêchent toute créativité et confine les disciplines dites artistiques à des intermèdes récréatifs. Il n’y a pourtant pas plus mathématique que la musique.

Bonvin s’attache à montrer une école productrice de normes qui se tient entre une vision universalisante et les pratiques très individualisées censées répondre à ces fameux besoins éducatifs particuliers. Au passage, on remarque avec un certain étonnement que ce qui est normal pour un·e pédiatre ne l’est pas pour un·e enseignant·e. Les approches dites inclusives semblent tenir d’un équilibrisme transactionnel fragile entre des temporalités et des espaces radicalement divergents.

Borel insiste sur la gymnastique intellectuelle nécessaire aux professionnel·le·s pour travailler à transmettre des normes sociales tout en respectant l’irréductible singularité de chaque enfant. On apprend en chemin que les minorités aussi s’embourgeoisent et qu’il y a des femmes qui servent avec aplomb le patriarcat. Tenir une position critique devant les normes s’exerce particulièrement dans la vie quotidienne.

Fracheboud et Kühni (K.) fortes de leur longue expérience constatent avec un brin d’humour que coucher les enfants et les nourrir participent de prescriptions contradictoires au fil du temps. En s’appuyant sur la sociologie historique, elles montrent que ces normes signifient aussi l’exercice d’un certain pouvoir sur leur travail. Hygiénistes ou morales elles ont à être interrogées. Les professionnel·le·s qui ne peuvent se satisfaire d’une évidente subalternité devraient remettre en cause régulièrement la légitimité de ces fameuses normes.

Lambert, dans sa vie de jeune mère, s’est trouvée bien encombrée par une foultitude de jugements qui la renvoyaient assez systématiquement à une insuffisance parentale. Il lui a fallu mobiliser des ressources intellectuelles pour relativiser la violence de ces remarques et tenir en respect un certain pouvoir de nuisance des professionnelles. Lahire, Goffman, Becker et Jobert l’y ont aidée.

Nunes-Delion ne sait pas non plus à quoi peut bien ressembler un enfant normal. Elle se méfie de la désignation d’anormalité que l’on réserve un peu facilement à ces enfants qui dérangent l’ordre institutionnel. Elle prend la mesure de l’imbécilité profonde qu’il y avait dans cette volonté de repérer les futurs délinquants avant qu’ils atteignent l’âge vénérable de 3 ans.

Birbaum s’occupe depuis 18 ans de sa fille extraordinaire qui ne marche pas et ne parle pas. Elle siffle, nage et sait se faire comprendre. Il y a des parcours parentaux qui tiennent du combat perpétuel contre la bêtise administrative, éducative ou médicale. Ces combats nourrissent aussi son métier d’enseignante, puisqu’ils lui ont fait comprendre ce qui importe vraiment.

Dutoit est pédagogue, elle aussi est très engagée dans les pratiques inclusives. Si elle préfère parler de diversité plutôt que de différence, c’est que, dans son activité de soutien aux professionnel·le·s, elle trouve l’idée de diversité plus féconde quand il faut travailler dans des situations très hétérogènes. Bien sûr, ça résiste parfois.

La Rémige s’attarde sur l’ambiguïté du mot « contre » qui peut signifier une tendre proximité ou une franche hostilité. L’histoire nous montre que l’usage de jadis devient un crime aujourd’hui et qu’il peut y avoir des excès de normalité…

Faire & Penser

Archimi, qui n’est pas un soutien inconditionnel de l’économie de marché, se lance à corps perdu dans un atelier « Rien ». Dans une langue très spontanée, il raconte le déroulement, les ajustements et les surprises de l’activité. Il faut bien admettre que ce qui advient tient avant tout au bonheur de faire avec ces gamins qui savent si bien jouer avec pas grand-chose.

Dire & Lire

Hodot accueille une petite fille qui ne veut absolument pas être là. Par bonheur il se trouve un livre à toucher qui va simplifier la tâche éducative. Ce n’est pas qu’une mère qui part puisse être remplacée par un bouquin, c’est plutôt que ce livre tombe fort à propos. Il s’avère que cet « à propos » est le fruit d’un certain travail, d’une certaine connaissance de l’objet et d’une certaine compréhension de ce qui se joue.

Jacques Kühni

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