Une revue sort du coma (état de quasi mort clinique de 2007 à 2009)

Cette revue revient d’un long silence léthargique par la volonté de quelques-unes et quelques-uns. Elle prétend faire vivre et faire entendre les voix critiques d’un métier malmené : l’éducation de la petite enfance.

Dans le comité de rédaction, les voix sont plurielles et ne visent pas l’unanimité. Mais au nom de qui, pour qui, en vue de quoi agissons-nous ?

C’est au moins au nom d’une très haute opinion du métier.

Agir c’est une étrange combinaison de vouloir, de pouvoir, de devoir et de savoir… Avec, peut-être, du désir.

Notre action sera centrée principalement sur le savoir, et c’est là toute l’ambition de l’exercice, il s’agit pour nous de contribuer grandement ou modestement à son élaboration, puis à sa mise en œuvre. Avec un but avoué : rendre visible et opérant le lien entre penser et faire.

D’éventuels dommages collatéraux seront probablement liés à une liberté de ton revendiquée et à une volonté de se mêler des affaires de la cité, ce qui est une définition du politique. Mais cette revue ne survivra que si elle trouve son public au risque de parfois déplaire ou de ne plaire que par petits bouts. Nous parions sur le fait que l’éducation n’est pas encore totalement livrée aux spécialistes du marketing ni aux agents du béni-oui-oui et nous tentons l’expérience de publier.

Notre ambition c’est de pousser à lire, penser, dire et écrire pour faire mieux. Ce qui, selon nous, mérite quelques égards, voire devrait forcer le respect des hostiles ou, au moins, éveiller la curiosité des “sans opinion”.

Comment elle est bâtie

I) un mot du comité de l’association pour vous informer de l’état de santé de la revue et de ses orientations.

II) un édito qui dit ce qu’il en est du numéro.

III) un dossier qui aborde son sujet  selon les points de vue des sciences sociales, des sciences humaines et des pratiques réflexives.

IV) 3 rubriques :

Faire & Penser centrée sur des pratiques professionnelles

Réagir & l’Ecrire qui ouvre un espace à une équipe qui s’engage à faire des liens entre un texte et les pratiques éducatives. L’engagement de l’équipe se fait sur le thème du dossier annoncé, elle choisit un ou plusieurs articles et nous envoie ses réactions, ses questions et commentaires dans un délai de deux semaines.

Dire & Lire sera la rubrique des présentations d’ouvrages professionnels et l’on y publiera aussi les courriers de louanges et de doléances de nos lectrices et lecteurs. Qu’ils aillent de l’éloge à la réprimande ne nous gêne pas, pourvu qu’ils évitent l’insulte lourde et malveillante.

Le care

C’est de l’anglais. Bien que je fasse partie de ceux qui n’ont pas de mail mais reçoivent et envoient des courriels, j’ai adopté le mot care. Je n’éprouve aucune fascination pour l’anglais technologique, managérial ou militaire ; et pourtant je dois reconnaître que ce terme appuie une notion relativement claire et utilisable dans l’éducation de la petite enfance. Vous découvrirez au fil des articles plusieurs définitions du care, puis vous en élaborerez une qui vous convienne et qui corresponde à vos pratiques telles que vous voudriez qu’elles soient. Parce que l’intelligence n’est pas donnée, mais que c’est du travail ou tout du moins qu’elle se travaille (ce qui devrait être évident pour qui s’échine à éduquer), vous admettrez peut-être que ce geste d’intellectualité concerne votre activité professionnelle.

Aujourd’hui certains prétendent encore que le care est une disposition naturelle, quelque chose qui ne s’apprend pas, un don que dame nature a généreusement distribué aux femmes, que ces dernières l’exercent sans y penser et sans s’efforcer. Dans la même logique, l’on ajoute que les femmes du sud en sont mieux pourvues et, qu’avec leurs compagnons du sud, elles partagent une incroyable prédisposition pour les travaux subalternes. De ceux que l’on reconnaît à peine, que l’on rechigne à payer et que l’on méprise un peu en affichant une bienveillance de néo-bourgeois. Dans le nouveau village mondial vous remarquerez que les pays de l’Est sont un peu au sud, ainsi que l’outre-Atlantique du Sud. Les métiers du care sont soumis aux éternels rapports de domination basés sur la race, le genre et la classe sociale, ils s’exercent dans nos cités et font partie des enjeux politiques contemporains. Comme illustration de mon propos, je citerai le cas des badanti en Italie (du verbe badare s’occuper). Une famille italienne sur dix emploie une aide-familiale clandestine qui vient d’Ukraine, de Moldavie ou d’ailleurs. Alors que le gouvernement Berlusconi brille, comme le nôtre, par son zèle de chasseur d’étrangers, il offre une régularisation rapide aux badanti  qui travaillent depuis trois mois au service des familles[1]. Nécessité fait loi chez les cyniques ; toutefois la nécessité y va jusqu’à un permis de travail mais pas jusqu’à un bon salaire.

Pour revenir en Suisse, le métier d’éducateur et d’éducatrice de la petite enfance s’exerce dans une sphère publique, une partie importante de ses actes professionnels sont des actes de care, ce qui le condamne à être principalement apprécié à l’aune des pratiques domestiques. L’on sait combien les gestes socialement et historiquement assignés aux femmes sont glorifiés sur le mode du dévouement puis, simultanément et irrémédiablement, dépréciés dans l’espace politique. Dans une société qui cultive le délire de toute puissance des individus, il est difficile de faire une place à ceux qui prennent soin des faibles. Le culte de l’autonomie se trouve encombré de ceux et celles qui ne peuvent plus, qui sont momentanément ou durablement dépendants. Avoir le souci de faire tenir debout un monde qui n’est pas réservé aux beaux adultes bien portants, se préoccuper et s’efforcer pour qu’il y ait un devenir possible pour toutes et tous, c’est pourtant un considérable boulot.

 


[1] Le Courrier, 25.08.2009.

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