La documentation pédagogique : photographie d’une absence

Lorsque le comité de rédaction a fait le choix de réaliser un numéro sur le thème « documenter sa pratique », j’étais emballée. En effet, un voyage d’études à Pistoia et un certain nombre de lectures m’ont permis ces dernières années de découvrir la pratique de la « documentation pédagogique » initiée par les Italiens de Reggio Emilia. Néanmoins, je me suis retrouvée en difficulté : en effet, il faut le reconnaître, il s’agit d’écrire sur quelque chose qui n’existe pas ou pas encore dans notre contrée, sauf à l’état de bribes, d’ébauches, de traces mais jamais rien d’abouti. C’est pourquoi je vais essayer ici de me demander qu’est-ce que documenter, qu’est-ce que les fragments existants nous apprennent et pourquoi ils ne parviennent pas à se développer. J’aimerais tenter de comprendre ce qui se joue sans excuser, mais plutôt pour espérer que cela permette d’ouvrir des possibles, d’esquisser des lignes et des chemins.

Documenter, c’est se mettre dans la position du chercheur, cela nécessite un travail intellectuel, c’est mettre nos théories à l’épreuve du terrain dans un aller et retour fécond.

Reggio Emilia a un credo : l’enfant est compétent. Plutôt que de décider à l’avance qu’est-ce qu’il est bon de lui apprendre, et comment il doit l’apprendre, l’idée est d’observer l’enfant, de documenter ce qu’il fait, ce qui habite le groupe en ce moment. Ensuite, l’adulte va proposer un dispositif à l’enfant pour qu’il puisse développer sa recherche, il va de nouveau l’observer qui se saisit de ce qui est proposé afin de développer, réajuster sa pratique. « C’est un outil pour re-visiter, reconstruire l’expérience. L’objectif est le suivant : une fois l’apprentissage, l’expérience ou le projet réalisés, l’équipe éducative, grâce à la documentation, peut revivre les moments-clés » (Dubois, 2015, p. 63). La documentation peut être constituée de photos, de films, d’observations écrites. Une partie de ce travail sera aussi présentée sur des panneaux qui couvrent les murs de l’institution « comme une seconde peau », selon la jolie phrase d’Annalia Galardini[1], qui a longtemps dirigé les services de la petite enfance de Pistoia. Il faut y ajouter une dimension collective : en classe ou dans les lieux d’accueil de Reggio Emilia, il y a toujours un duo d’enseignants. Ainsi chacun peut observer à tour de rôle. Observer les enfants, mais aussi les actions du collègue. Le débat, le regard critique semble faire partie de leur culture professionnelle, tout est fait pour les favoriser : « Souvent ces deux enseignants sont très différents : ils peuvent avoir des opinions ou des pratiques différentes. L’objectif est de susciter le dialogue, le débat » (Dubois, ibid. pp. 38-39).

Ainsi, la documentation peut aussi permettre de revisiter la pratique des professionnel∙le∙s, ce qui semble essentiel dans notre travail. En effet, les projets pédagogiques fourmillent de slogans et de concepts pédagogiques avec lesquels nous sommes tous bien d’accord, mais concrètement, sur le terrain, cela se traduit comment ? Avouons que nos bonnes intentions sont plus faciles à nommer qu’à mettre en œuvre. Les mots ne sont pas toujours (pas souvent ?) suivis d’effets. Par ailleurs, les projets pédagogiques sont remplis de paradoxes et de tensions. Comment accompagner individuellement Norbert qui fait une crise de colère et a besoin de toute l’attention de l’adulte tout en étant également présent pour les neuf autres ? Mireille et David voudraient faire un jeu de société, qui se trouve en haut d’une armoire, Sébastien aimerait montrer son dessin et Dylan a besoin d’aide pour aller aux toilettes. Dans le même temps, ces tensions doivent subsister, il serait indéfendable de prétendre que le collectif prime et d’exclure Norbert, ou même de le laisser se débrouiller tout seul. Il serait tout autant stupide que la relation devienne purement individuelle. Alors, au quotidien, il faut bricoler, inventer, tricoter, construire une connaissance singulière et provisoire. « Et vraiment, c’est là que ça devient intéressant, car dans ce travail d’invention, de créativité, de dépassement, puisque tout n’est pas donné, il y a, pour moi et pour d’autres, production de savoir. Un savoir qui, peut-être n’a pas encore le même statut que le savoir scientifique, mais qui est un vrai et fort savoir quand même. Et ce savoir, ce “bricolage” inventé en situation doit, pour devenir peut-être une nouvelle règle de travail, être débattu et validé par les collègues. C’est ce que Dejours (2011) nomme la coopération : « La coopération, c’est la façon dont, collectivement, les travailleurs réaménagent, remanient, réajustent la coordination », c’est-à-dire les ordres qui leur ont été transmis. Il s’agit donc, pour nous EPE, d’être capables d’analyser notre propre travail, de pouvoir repérer et nommer ces acquisitions dans/de notre travail » (Kühni, 2011). En effet, « c’est au détail que nous reconnaissons la valeur des gestes, et non dans le discours de grandes et généreuses idées que souvent les actions quotidiennes démentent » (Cifali Bega, 2009, p. 4). Mais encore faut-il les repérer ces détails ! Souvent, nos inventions restent personnelles ou sont aussi vite créées qu’oubliées. Cela nécessite un effort pour reprendre de la distance et porter son analyse. Mais je suis persuadée que « penser pour faire, faire pour penser » (ibidem, p. 2), donne du sens à notre travail, l’enrichit, l’améliore. Cifali Bega ajoute : « Documenter son action, c’est effectivement ne pas s’en tenir à ce que l’on croit, mais être touché par ce qui vient nous surprendre, qui nous déstabilise, nous met en mouvement de pensée pour comprendre » (ibid., p. 2). Finalement, la documentation rend visible le travail effectué par les professionnel∙le∙s et rend possible une transmission vers les parents et vers la société toute entière.

Dans l’institution dans laquelle je travaille, nous avons cherché à expérimenter cette manière de travailler. Nous avons fait quelques expériences en utilisant la caméra ou les photos. Nous avons par exemple filmé de courts moments de la journée dans tous les groupes de l’institution. Ces films ont ensuite été visionnés en colloque, ont donné lieu à des échanges et à des réflexions, puis ils ont été partagés entre les groupes, ce qui a amené de nouvelles réflexions et une transmission des pratiques des uns et des autres. Tout le monde a trouvé cette expérience riche et intéressante. Nous avions pensé répéter ce travail, mais nous n’y sommes pas parvenu×e×s, faute de temps, d’énergie, pris par d’autres projets en cours, du moins ce sont les excuses que nous nous sommes données.

Nous avons aussi utilisé des photos et des films pour montrer notre travail, et essayer de partager notre regard sur l’enfant. Ainsi, l’une des nurseries a décidé de réaliser une réunion de parents autour du thème des compétences des enfants. Les éducatrices ont pris des photos des enfants dans toutes sortes de situations : en train de descendre les escaliers, dans un jeu de coucou à plusieurs derrière un rideau, lors du repas, etc. Elles ont ensuite proposé aux parents par petits groupes de regarder ces photos triées par thème tout en expliquant oralement en quoi selon elles ces photos montraient les savoir-faire dont les enfants sont capables. Les parents se sont montrés très intéressés et participatifs : les photos ont amené de nombreuses questions et des échanges riches. A la suite de cette réunion, plusieurs éducatrices m’ont fait part de leur satisfaction. Elles ont considéré qu’un élément avait été déterminant dans cette réussite :  les photos n’avaient pas été prises au petit bonheur, ou comme trop souvent, pour faire ressortir le côté mignon, sympa, mais avec une intention qu’elles avaient clairement dans la tête. Néanmoins, les photos étaient, à mon avis, de trop petit format et les panneaux réalisés et suspendus dans le couloir de l’institution ne contiennent pour la plupart pas de commentaires écrits, ce qui aurait été une richesse supplémentaire. Dans tous les cas, cette réunion dément cette remarque que j’ai souvent entendue comme quoi les parents ne viennent que pour voir des images de leur enfant et ne sont pas intéressés par les autres éléments qui peuvent être apportés.

Lorsqu’on découvre les pratiques italiennes, on se rend compte qu’il nous manque d’effectuer un véritable travail d’analyse du début à la fin et de noter également les paroles et les réactions tant des adultes que des enfants. Nous ne sommes pas non plus parvenu∙e∙s à exploiter toutes ces possibilités en parallèle. C’est-à-dire d’offrir aux enfants des possibilités de se remémorer les événements tout en réfléchissant et en construisant notre travail, et en le partageant avec les parents. Il faudrait encore le montrer sur la place publique et construire un discours professionnel fort, partager nos préoccupations et nos ambitions pour les enfants.

Tout cela semble être alléchant, alors quels en sont les empêchements ?

La posture professionnelle

Une première forme d’obstacle réside à mon avis dans la posture professionnelle : se mettre dans la position du chercheur, analyser des situations, écrire des textes, chercher à montrer le travail effectué avec les enfants nécessite d’avoir confiance en soi et en son rôle professionnel, de se sentir légitime.

Dans un colloque, j’insistais auprès d’un groupe d’éducatrices sur la nécessité de se mobiliser par rapport à des décisions politiques concernant le champ de la petite enfance. Une éducatrice me répondit alors qu’elle aimerait bien, mais qu’il fallait que les politiciens comprennent qu’elles étaient des femmes, des mamans, qu’elles avaient des obligations familiales qui primaient sur leur engagement. Cette remarque m’a obligée à reconnaître que notre métier est marqué par son histoire et que les éducatrices elles-mêmes se considèrent souvent au fond comme des semi-professionnelles, des « bonnes mères » qui cherchent à concilier ce rôle tant dans leur sphère intime que sur leur lieu de travail. Ajoutons que le métier d’éducateur/trice de l’enfance souffre d’un manque de reconnaissance sociale général qui n’aide pas les professionnel∙le∙s à se sentir valorisé∙e∙s. L’histoire de Reggio Emilia est exemplaire à cet égard : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la population d’Italie du Nord était prête à se mobiliser pour que plus jamais le fascisme ne puisse se renouveler. L’éducation leur semblait une voie privilégiée pour ce faire. En effet, les citoyens ont pris conscience que « le manque d’éducation des classes pauvres a été un facteur de réussite pour le régime fasciste. Profitant de l’ignorance de ces dernières, les dirigeants fascistes les ont utilisées, exploitées, bernées »  (Dubois, 2015, p. 76). Les habitants vont se mobiliser, récolter des fonds pour construire des écoles eux-mêmes. C’est un immense enthousiasme populaire qui porte ce projet et, dans ce contexte, les attentes envers les enseignants sont fortes et leur rôle est valorisé: « Les enseignants ont donc un rôle fondamental. Les exigences de qualité envers ces derniers sont énormes, mais Malaguzzi, lui-même enseignant, les a toujours profondément respectés et s’est toujours évertué à valoriser leur travail » (ibidem, p. 41).

Cet élan populaire n’est évidemment pas d’actualité, alors que les seules ambitions de la société sont de caser les enfants pour que les mères puissent aller travailler pour le plus grand bénéfice des magnats de l’économie et afin de conserver chacun à sa place. Ajoutons que l’idée selon laquelle il s’agirait d’un métier facile, pour lequel les femmes seraient naturellement prêtes est encore largement répandue. Par ailleurs, Chatelain-Gobron (2015, p. 81) a montré que les éducateurs, face aux messages négatifs sur leur profession venant de l’extérieur, ont tendance à se replier sur l’institution à l’interne de laquelle ils trouvent reconnaissance. Ce qui explique, pour revenir à l’échange relaté ci-dessus, que les éducatrices ont de la peine à s’engager dans les associations professionnelles, les syndicats, le travail intellectuel, tandis qu’elles sont souvent capables de ne pas compter leur temps pour toutes sortes de tâches qu’elles effectuent en dehors de leur journée de travail, mais orientées vers l’institution ou les enfants de manière très pratique.

Chatelain-Gobron remarque aussi que la moitié des éducateurs/trices qu’elle a interrogé∙e∙s ont indiqué avoir choisi ce métier « en invoquant une dimension récréative et sans contrainte » (ibidem, p. 55). Il est clair que cet objectif de vie me semble difficilement compatible avec une attitude de chercheur. Il faut malheureusement reconnaître que certains professionnels sont plus intéressés à éplucher le règlement communal du personnel afin d’y dénicher une possibilité de congé qu’à se plonger dans des ouvrages en lien avec le métier ou à documenter leur pratique.

Un autre écueil, lié à la posture professionnelle, me semble prendre de plus en plus de place : parmi les jeunes professionnel∙le∙s, il en est qui fonctionnent avec des sortes de formels ou guides de bonnes pratiques. « Il semble se dessiner depuis plusieurs décennies un engouement facile, et cependant préjudiciable, pour ce que nous pourrions nommer “un prêt-à-penser” qui s’érigerait en un “prêt-à-travailler” dès lors que l’on applique des connaissances reconverties en méthodes, voire en technologies sans plus réfléchir  » (Kühni, Meyer, Spack, 2012, p. 14). Cette tendance n’est pas spécifique à notre champ professionnel et se retrouve dans l’ensemble du monde du travail. Elle est guidée par la peur de devoir répondre de ses actes, d’être tenu pour responsable et la croyance qu’il y a des manières justes de faire les choses une fois pour toutes. C’est la raison pour laquelle Loris Malaguzzi, qui est à l’origine de la pédagogie mise en place à Reggio Emilia, a toujours refusé de formaliser leur manière de travailler : il voulait éviter que d’autres cherchent purement et simplement à la recopier en oubliant au passage de réfléchir et de tenir compte du contexte.

Montrer son travail, c’est une prise de risques

Souvent, ce qui frappe lorsque les équipes réalisent des films pour les soirées de parents ou présentent des photos, c’est qu’il y a comme un côté aseptisé : les enfants ne pleurent pas, ils jouent ensemble sans conflits, le joli, le mignon est mis en avant au détriment de ce qui pourrait permettre un débat avec les parents. J’imagine que cette tendance est liée au souci de ne pas altérer la relation de confiance créée avec les familles. Sadock (2012, pp. 56-63) a largement parlé de cette difficulté à dire les moments plus difficiles dans ce métier et montré qu’ainsi les éducatrices se conforment à des attentes sociales envers les femmes. Par ailleurs, le manque de confiance et de reconnaissance professionnelle déjà nommé renforce la difficulté à montrer et à parler de son travail.

La nécessité d’un apprentissage, d’un accompagnement

« Evoquer la mise en écriture fait revenir chez chacun des douleurs, des peurs, un aveu d’incapacité, des souvenirs scolaires où la page était bardée de rouge » (Cifali et André, 2007). « Domaine de douleurs et d’angoisses, de fausses représentations de comment nous vient l’écriture, d’idéalisations d’un talent que l’on aurait ou que l’on n’aurait pas. La mise en écriture demande qu’on y travaille. L’écriture est en effet un travail, avec ses outils, ses procédures, ses brouillons, ses relectures, ses jaillissements, ses angoisses, ses constructions » (Cifali Bega, ibidem, p. 4). L’écrit professionnel fait encore peu partie des pratiques des éducateurs/trices, c’est un truisme de le dire. Les pratiques de documentation proposées par Reggio Emilia peuvent rassurer de par le fait qu’elles utilisent des images. Dans le monde d’aujourd’hui, les images nous semblent quelque chose de plus familier, de plus « facile ». Mais c’est une illusion trompeuse. Il ne s’agit pas de coller trois photos sur un panneau, il s’agit de choisir ces photos pour montrer, mettre en évidence quelque chose, et ce en fonction d’un public donné : pour l’équipe, les parents ou les enfants, voire pour la cité. Il s’agit d’analyser ce qui se passe et de tirer des liens avec des éléments théoriques, avec des idées, des valeurs, etc., dans un aller et retour constant. Il y a aussi des éléments de mise en forme, de taille des photos, etc. Il serait primordial que les écoles de formation (de base, comme continue) mettent l’accent sur ces questions.

Documenter, ça prend du temps et nécessite des moyens

Lorsque je suis allée à Pistoia, une évidence m’a sauté aux yeux : nous n’avons pas les mêmes moyens à disposition. Ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est simplement que le travail réalisé avec les jeunes enfants est là-bas considéré comme une priorité par toute la cité. Tandis que, par chez nous, au niveau politique, l’ambition s’arrête uniquement à trouver le moyen de caser le plus d’enfants possible pour un prix réduit au minimum. Dans nos institutions, nous nous retrouvons à travailler à flux tendu, avec un personnel de plus en plus hétérogène en termes de formation. Lorsque nous voulons réaliser des projets d’aménagement ou autre, il faut se débrouiller et souvent ruser pour dénicher les moyens nécessaires. Par exemple, à Pistoia, tout un soutien technique se tient derrière la documentation telle qu’on peut la voir affichée sur les murs. Les panneaux réalisés dans les institutions sont imprimés par un service communal, il y a un travail de graphisme qui a été fait en amont et qui permet de réaliser des panneaux qui « ont du chien ». Il y a aussi la question du temps : à Reggio Emilia, les enseignants travaillent trente-six heures par semaine : trente heures auprès des enfants, le reste étant réparti entre le travail sur la documentation, les colloques, les rencontres avec les parents, etc. Comme le dit Cifali Bega (ibidem, p. 7) : « Aujourd’hui règne dans notre société un “interdit de penser” (Malherbe, 2001), ou pire un éloge de la pensée mais avec aucune des conditions nécessaires pour la rendre possible. »

Mais ajoutons que cela n’explique pas tout : je sais qu’il y a des éducatrices dans de nombreuses institutions qui ont de la peine à remplir leur temps de travail hors de la présence des enfants. Cela me semble incompréhensible, mais c’est pourtant le cas : ce temps de travail qui a dû être défendu et négocié avec difficulté il y a quelques années semble aujourd’hui superflu à certain∙e∙s.

Et alors ?

« La peur empêche de penser, comme la soumission. La plainte aussi », nous dit Cifali (ibidem, p. 7). Le métier d’éducateur/trice de l’enfance, comme d’autres métiers du care est lié à la place laissée et au regard posé sur les femmes (et les enfants), c’est un fait. Il nous reste néanmoins la possibilité de nous y soumettre ou pas. Je ne résiste pas à l’envie de citer Sartre : « L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. » Il s’agit de relever nos manches pour essayer, oser, construire ensemble une place dans le monde pour notre métier et arrêter de nous faire plus petites, modestes et soumises que nous ne sommes. Cela nécessitera néanmoins un effort. « Si nous ne pouvons pas tout faire, si nous ne pouvons, à court terme, avoir un système complètement nouveau de pensée et de pratique (…). Cela ne signifie pas que nous ne pouvons que nous résigner à l’inaction. (…) il existe des possibilités de savoir et d’action locale : (…) le personnel d’une institution de la petite enfance peut aussi discuter et, en outre, explorer les possibilités de la documentation pédagogique pour approfondir sa compréhension du travail pédagogique et analyser l’image qu’il se fait de l’enfant » (Dahlberg, Moss et Pence, 2015, p. 59). De plus en plus d’articles et d’ouvrages ont été écrits sur la documentation pédagogique, nous n’avons donc plus l’excuse de ne pas savoir.

Je pense que les écoles de formation ont un effort considérable à fournir, si elles veulent prétendre transmettre une haute opinion du métier, pour que les professionnel∙le∙s et les futur∙e∙s professionnel∙le∙s puissent comprendre dans quelle histoire ils/elles sont inscrit∙e∙s, par quelles résonances ils/elles sont agi∙e∙s et, parallèlement, s’approprier le monde de l’écrit et le travail de documentation.

C’est bien par un effort collectif de transmission vers l’extérieur de notre regard sur les institutions petite enfance et sur l’enfant lui-même que nous parviendrons peut-être à changer le regard de notre entourage et de la société. Il me semble que nous nous devons au moins d’essayer. Nous le devons aux femmes qui nous ont devancé∙e∙s et qui ont lutté pour obtenir des droits et un semblant d’égalité, nous le devons aussi aux enfants, si comme nous le prétendons, nous sommes attaché∙e∙s à leur offrir un accueil de qualité, si nous préférons considérer l’enfant comme « coconstructeur de savoir, d’identité et de culture » (Dahlberg, Moss et Pence, ibidem, p. 99) plutôt que comme un futur consommateur et travailleur, qui se soumette à notre monde sans le remettre en question.

Bibliographie

Chatelain-Gobron, Sylvie, (2015), Le métier d’éducateur de l’enfance : entre tensions identitaires et reconnaissance professionnelle. Lausanne, Les écrits professionnels.

Cifali Bega, Mireille, (2009), « Ecrire sa pratique, documenter son action, quels enjeux ? », Quand l’enfance se tisse, Actes publiés du 8e Colloque petite enfance, pp. 91-97, récupéré de http://www.mireillecifali.ch/Articles_(2007-2010).html.

Dahlberg, Gunilla ; Moss, Peter et Pence, Alan, (2012), Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance : les langages de l’évaluation, Toulouse, Eres.

Dubois, Emilie, (2015), La pédagogie à Reggio Emilia, cité d’or de Loris Malaguzzi, L’Harmattan, Paris.

Kühni, Karina, (2011), « Le jugement du travail et la coopération », Revue [petite] enfance N°105, pp. 74-82.

Kühni, Karina ; Meyer, Gil et Spack, Annelyse, (2012) « Ces indispensables théories sur le développement de l’enfance… », Revue [petite] enfance N°108, pp. 13-24.

Sadock, Virginie, (2012), « Dire et ne pas dire chez les professionnels de la petite enfance », Revue [petite] enfance N°109, pp. 56-63.

[1] Galardini, Annalia, (2007), A la crèche pour grandir, conférence au Colloque de l’Ecole de puériculture, L’Europe de la petite enfance,  Lyon.

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