Bonheur de rue, colère de rue

Dans le ou plutôt dans les labyrinthes de mes bibliothèques, espaces compressés de livres de toutes sortes, j’ai retrouvé un livre d’enfant qui s’intitule Ma rue[1].

Le graphisme, comme souvent, m’a interpellée et c’est sûrement pour cela que je l’avais acheté : par ses couleurs, ses perspectives toutes en poésie, le dessus et le dessous intervertis, les premiers plans cachés tout derrière… ce livre semble avoir secoué le contenu de ses pages avant d’avoir été imprimé. Il travestit les panoramas habituels, tout comme il jongle avec les couleurs et joue avec les mots.

« Ma rue n’est pas sage comme une image.
Elle remue le jour et secoue la nuit.
Ma rue agite ma nature. »

Il adopte également une vision critique de la ville et de ses travers (pollution, bruit, pauvreté, etc.). Cette rue, qui n’est décidément pas sage, voit défiler des abîmés et reconnaît l’odeur de la souffrance. Là au milieu, il y a bien sûr ces fragrances de chiens mouillés mêlées aux senteurs d’ouvriers fatigués. Mais cette rue est aussi le haut lieu des amoureux.

En s’appuyant sur les cinq sens, proche de ce que les enfants connaissent et « étudient » à la garderie comme à l’école, l’histoire abracadabrante rejoint quand même un connu de toutes et tous. Chaque tableau (toujours sur deux pages) permet de chercher des indices à partir de ce qui est inscrit, mais aussi d’y voir ou d’y mettre autre chose.

« Ma rue sent le chien mouillé.
Elle a une haleine de vieille usine et renifle comme une cheminée.
Ma rue danse à l’intérieur de mes narines. »

Le vocabulaire, poétique et imagé, autorise des associations marrantes. Tout un travail autour des mots et de leurs sens peut être réalisé.

« Ma rue hurle à plein régime.
Elle aboie sans prévenir et insulte le silence.
Ma rue me pince les oreilles. »

L’ensemble donne un aspect futuriste ou du moins peu conventionnel. Contrairement aux livres d’amorce, faciles d’accès, simples de compréhension, celui-ci va chercher peut-être d’autres formes d’agilité intellectuelle. Travailler à partir d’images et d’un texte qui ne sont pas comme d’habitude me paraît tellement bienvenu.

« Ma rue est loin de nulle part.
Elle démarre n’importe où et elle mène partout.
Ma rue est proche de moi. »

Karina Kühni

[1]-Guéraud, Guillaume et Karstedt, Anne (2004), Ma rue, Ed. du Rouergue, Rodez.

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