L’école, son statut – et le monde

Il y a des mots comme ça, la réalité qu’ils désignent a tellement d’impact sur nos vies que nous n’avons pas fini d’être en désaccord dans le débat qu’ils soulèvent en permanence. Ainsi en va-t-il d’école.

Si l’on ne prend que la distinction entre le pédagogique et l’éducatif, il faut dire qu’il y a quelque chose d’absurde à postuler que des activités didactiques destinées à des enfants pourraient n’avoir aucun caractère éducatif. Ce serait faire abstraction du lien pédagogique qui se tisse même lorsque l’enseignant·e ne le veut pas. L’école qui ne veut qu’instruire, et ne pas voir que la relation instaurée avec l’élève a un effet humain qui dépasse l’assimilation pure et simple de savoirs, est simplement irresponsable. L’influence de la subjectivité dans la relation entre enseignant·e et apprenant·e est si largement documentée que ce serait faire injure aux lecteurs et aux lectrices de cette revue d’y revenir. Pourtant, il semblerait que certain·e·s continuent de croire que l’école peut exister hors du monde de la chair et des sentiments, des doutes et des désespoirs, de la colère et de l’admiration. Ils invitent dès lors enfants et familles à laisser à l’extérieur du temple leur bagage, comme si l’on pouvait faire abstraction de soi-même sur commande. « Dans la mesure où l’école est identifiée à des principes “hors du monde” et où ses professionnels ne rendent de compte qu’à l’institution elle-même, elle doit se protéger “des désordres et des passions du monde”. (…) Surtout, ce modèle a construit une fiction pédagogique, reproduisant la distinction du sacré et du profane, de l’âme et du corps, selon laquelle l’école ne s’adresse qu’à des élèves, qu’à des sujets de connaissance, de savoir et de raison et non à des enfants et à des adolescents, sujets singuliers porteurs de “passions” et de particularismes sociaux. »[1] En écartant le monde et ses passions de son champ d’activité et de responsabilité, l’école se met elle-même à l’écart du monde, courant le risque de s’enliser dans sa propre fiction pour ne devenir qu’un simulacre. « L’éducation fait de chacun de nous une pièce de machine et non pas un individu »[2] ou « Je crains que notre éducation trop soigneuse ne donne que des fruits nains »[3] sont des critiques qui datent, certes, mais ont gardé une étonnante vigueur.

Si longtemps l’école a pu se présenter comme l’unique instrument d’instruction des jeunes, elle ne peut aujourd’hui plus revendiquer aussi aisément ce monopole, qui était déjà une illusion même avant que les nouvelles technologies de communication existent, diffusant à présent une somme considérable d’informations qui constituent autant de connaissances.

L’affirmation, dans les politiques publiques, d’un projet qui relie le parascolaire et le périscolaire à l’école, est une chance pour l’école. Mais pour que cela fonctionne, il faut laisser tomber la prévalence des statuts et faire valoir les compétences avec le cadre éthique qui s’impose. L’enjeu est à ce niveau : prendre en compte l’expertise réelle de chaque acteur et de chaque actrice de la situation, indépendamment de son statut.

Les termes de « para » et de « péri »-scolaire disent bien que nous sommes « à côté », dans la périphérie, que le centre reste l’école, cette école qui titube, et doute, et ne parvient pas à remplir son rôle, attaquée de toutes parts, alors qu’elle devrait être fédératrice et rassembleuse. L’avenir de l’école est dans ses périphéries.

Les professionnel·le·s qui travaillent actuellement dans le parascolaire et le périscolaire, les éducateurs et les éducatrices de la petite enfance, les employé·e·s des APEMS, n’ont pas le statut professionnel qui donne une légitimité suffisante à leur connaissance des situations qu’ils et elles accompagnent : c’est là qu’est le problème. Le problème n’est pas celui de leurs savoirs, c’est celui du statut de leurs savoirs et de la légitimité que l’on voudra ou non leur donner. C’est celui de la formation que le politique voudra ou non créer pour ces acteurs et ces actrices essentiel·le·s, si l’on veut faire de l’école un lieu d’apprentissage et de vie élargi. Mais nous n’avons pas toujours besoin d’attendre le politique, nous pouvons dès à présent sortir de nos gonds, ouvrir les portes et regarder nos interlocuteurs et nos interlocutrices comme des égaux et des égales

La Rémige

 

[1]-Dubet, François, Education et sociétés, 2010/1, N°25, pp. 17-34.

[2]-Strindberg, August (1879), Dans la chambre rouge.

[3]-Lichtenberg, Georg Christoph (1742-1799). Aphorismes.

Retour en haut