A côté de l’école : quelques enjeux des métiers du para/périscolaire

En 2019, la Ville de Lausanne fêtait les 20 ans d’existence des structures d’accueil pour enfants en milieu scolaire (APEMS), un des dispositifs phares de sa politique familiale et pilier de la mise en place d’une journée continue pour les enfants du primaire. Le nombre d’enfants accueillis tant dans les structures de la ville que dans celles du canton de Vaud a fortement augmenté ces dernières années, comme celui du personnel qui y est engagé. Le dispositif est récent à l’échelle de l’histoire de l’éducation, les métiers qui y œuvrent[1] sont jeunes et cette nouvelle institution a pris petit à petit sa place en « s’intercalant » entre l’école et les familles.

Une année plus tôt et en collaboration avec la Ville de Lausanne, nous avons entrepris une recherche-action participative dans un APEMS. A l’heure des injonctions politiques visant une école inclusive et poussant à envisager une communauté éducative élargie (Chatenoud, Ramel, Trépanier, Gombert et Paré, 2018), il nous semblait intéressant de sortir des murs de l’école – notre terrain de recherche habituel – et d’investiguer d’autres institutions et espaces qui forment l’archipel[2] de l’éducation. Le personnel du para/périscolaire accompagne en effet par ricochet des enfants désignés par l’école comme ayant des besoins éducatifs particuliers, sans forcément être formé à cet effet et sans toujours obtenir des moyens supplémentaires.

Dans l’APEMS concerné, cinq membres du personnel éducatif ont accepté d’observer le travail de leurs collègues et de relever sur des carnets de notes les « points de tension » qui étaient régulièrement évoqués lors des rencontres d’équipe. Il s’agissait plus particulièrement du moment du repas, des jeux libres, des trajets entre l’école et l’APEMS, des devoirs accompagnés et des sorties de l’école. Ces points de tension étaient autant d’occasions de réfléchir à leur métier et à l’accompagnement des enfants qui leur étaient confiés. A partir d’observations et de retours de l’équipe éducative, nous présentons dans cet article quelques réflexions sur la place du para/périscolaire et sur les enjeux de professionnalisation du personnel des structures d’accueil.

Para ou péri ?

Dans les années 1980 en France, un nouveau secteur appelé accueil périscolaire est confié aux animateurs et aux animatrices socioculturelles. Il a pour objectif de mettre en place une journée continue en visant tant une certaine cohérence éducative durant la journée que la prise en charge d’enfants dont les parents travaillent tard. Quelques années après, on préférera en Suisse romande le terme de parascolaire pour nommer plus ou moins le même type de dispositifs. Toutefois, le préfixe para- – qui signifie « à côté de », « en marge de » – dénote un moindre attribut tout comme la paralittérature est un genre littéraire que la société ne reconnaît pas comme de la « vraie » littérature. De même, ce qui définit en premier les métiers du paramédical – sans présumer de leur utilité ou des compétences des professionnel·le·s de ce domaine – est leurs moindres formation et reconnaissance par rapport aux professions médicales à part entière. Le préfixe péri-, plus neutre, évoque le pourtour, la périphérie ou une enveloppe comme dans péricarde qui est la fine membrane essentielle à la protection du cœur.

Si les professionnel·le·s de l’accueil fronceront peut-être les sourcils à l’idée d’être comparé·e·s à une fine membrane (certes très utile), le préfixe péri- apparaît comme étant plus positif et symbolisant l’intégration de ce secteur comme un acteur à part entière de la communauté éducative. On lit par ailleurs dans le Petit Robert que le périscolaire est « complémentaire de l’enseignement scolaire ». Mais d’un point de vue sociologique, l’utilisation du terme parascolaire serait probablement plus judicieuse tant l’asymétrie entre l’institution scolaire et les structures d’accueil est importante. Le corps enseignant est mieux formé, mieux rémunéré et organisé comme collectif, tout en jouissant de meilleures conditions de travail. De son côté, la moitié du personnel des APEMS lausannois n’a, par exemple, pas de formation spécifique en lien avec l’animation ou l’éducation : ces personnes sont alors appelées moniteurs et monitrices ou auxiliaires. Elles ont des horaires discontinus et les faibles taux d’occupation (< de 50 %) sont fréquents. Par ailleurs, la complémentarité du para/périscolaire avec l’école se limite trop souvent à combler les trous d’une journée continue et à prendre en charge des créneaux horaires que les enseignant·e·s n’occupent pas : les matins tôt, les repas de midi et les fins d’après-midi. Finalement, que le secteur soit péri ou para, il reste affublé du mot scolaire qui marque un lien parfois pesant, voire d’assujettissement, avec l’école.

L’école et les autres

Pour viser une école, voire une éducation inclusive, et penser l’enfant dans sa globalité, l’institution scolaire est priée de s’ouvrir à l’extérieur, de renforcer les collaborations avec d’autres professions et de considérer la communauté éducative comme un espace d’apprentissages élargi (Rayou, 2016). En bref, il s’agirait pour elle de revoir son présumé monopole de la transmission des savoirs. Malgré tout, plusieurs chercheurs et chercheuses mesurent encore la profondeur du fossé qui sépare l’école du para/périscolaire. La journée de l’élève/enfant est ainsi morcelée et il ne subsiste bien souvent de la continuité éducative tout au plus qu’un relai dans la transmission des dossiers d’élèves turbulents (Netter, 2019). Les professionnel·le·s des deux institutions se côtoient de fait peu – lorsque les un·e·s travaillent, les autres sont en pause et inversement – et l’école semble encore bien « clôturée » (Maulini et Perrenoud, 2005).

Dire pour autant que les enseignant·e·s s’embastionnent, ne regardent pas à l’extérieur et s’estiment autosuffisant·e·s serait un jugement un peu rapide. Les collaborations entre enseignant·e·s et d’autres professionnel·le·s sont fréquentes : parler aux élèves de sexualité, leur apprendre à nager, visiter des fermes pédagogiques, boxer (pour permettre à certains enfants de se défouler), faire du théâtre, du ski, ou encore apprendre la circulation routière. Si certaines professions (psychologues, logopédistes, ergothérapeutes, etc.), gravitant notamment autour des élèves désigné·e·s comme ayant des besoins éducatifs particuliers, sont présentes depuis longtemps dans l’entourage de l’école, l’incursion des métiers de l’éducation sociale dans l’école est plus récente. Elle doit être replacée dans un contexte de lutte contre l’échec scolaire et découle de la reconnaissance que les « inégalités scolaires se nouent aussi hors de l’école » (Gaussel, 2013). A titre d’exemple, le canton de Genève ouvre ses écoles aux travailleurs sociaux et auxtravailleuses sociales en même temps que la mise en place de réseaux d’enseignement prioritaire en 2006. Le canton de Vaud le formalisera plus tard en 2019 avec son « concept 360° » qui propose de considérer les éducatrices sociales et les éducateurs sociaux en milieu scolaire comme des acteurs sur lesquels le corps enseignant peut s’appuyer et que les directions peuvent légitimement faire intervenir dans leur établissement.

D’après les expériences pilotes déjà menées, on assiste – surtout dans les établissements scolaires qui accueillent des populations précaires et qui ont fait appel à des éducateurs et des éducatrices – à une nouvelle division du travail au sein de l’école et à un partage du travail éducatif (Giuliani, 2017). Le rapport qu’entretiennent les enseignant·e·s avec les professionnel·le·s de l’éducation sociale est ambigu. En entrant à l’école, ces spécialistes viennent en effet soulager le corps enseignant de tâches que ce dernier considère comme moins nobles et dont il se débarrasserait volontiers : gérer les mauvais comportements et les conflits avec les parents, faire le relais avec les familles et prendre soin des plus défaillantes d’entre elles. En affirmant qu’il n’est pas éducateur, le corps enseignant retranche de son rôle tout ce qui relève du socioéducatif. Dans un même temps et en assurant cette fonction, les éducateurs et les éducatrices soulignent les manquements et les failles de l’école dont la mission est aussi éducative comme le rappelle la Déclaration de la CIIP[3] (2003) relative aux finalités et aux objectifs de l’Ecole publique. Mais ces incursions restent encore la plupart du temps le fait d’initiatives souvent isolées et ces professionnel·le·s sont peu intégré·e·s dans les collectifs enseignants[4].

Un rapport ambigu à l’école : faire pareil, faire différemment

Le rapport entre l’école et le para/périscolaire est celui de deux institutions et il semble que ce soit à la plus jeune des deux de faire sa place et de prouver sa légitimité, voire son professionnalisme. Plusieurs directions de structures d’accueil racontent les mêmes récits : ce sont elles qui ont fait le premier pas pour prendre contact avec l’école et ce sont encore elles qui maintiennent le lien en cherchant à s’intégrer notamment dans les réseaux ou les conseils d’établissement. Elles y sont d’ailleurs très rarement invitées spontanément. D’autres signes marquent une certaine tension entre les deux institutions : l’occupation des salles de classe par les devoirs accompagnés en est un bon exemple. Le corps enseignant ne voit en effet pas toujours d’un bon œil que les enfants des APEMS (souvent leurs élèves par ailleurs) viennent y faire leurs devoirs et certain·e·s enseignant·e·s refusent que d’autres professionnel·le·s qu’elles et eux investissent leur classe. L’occupation des couloirs des établissements scolaires peut également être source de tensions. Un moniteur nous raconte par exemple qu’une enseignante a demandé que l’APEMS retarde la montée des enfants dans les classes pour les devoirs accompagnés pour ne pas les croiser avec ses propres élèves. D’autres plaintes sont émises par le corps enseignant : les enfants de l’APEMS font trop de bruit dans la cour de récréation et dans les couloirs ou encore laissent des miettes après une collation.

Du côté des APEMS, les équipes éducatives reprochent parfois aux enseignant·e·s d’omettre de signaler l’absence d’élèves, de ne pas signaler des changements d’horaires ou des activités extrascolaires. Les enseignant·e·s sanctionnent parfois des élèves à midi en les retenant, ce qui retarde le départ pour le repas de tout le groupe d’enfants. En faisant fi des impératifs organisationnels des APEMS, les enseignant·e·s placent alors le personnel éducatif dans des situations de dilemme éthique : faut-il laisser un éducateur ou une éducatrice pour attendre l’élève en train d’être réprimandé·e et se retrouver en situation de sous-effectif pour faire le trajet ou attendre avec tout le groupe et risquer la grogne collective ? En bref, on peut faire le constat de territoires professionnels en tension.

Mais le para/périscolaire entretient lui aussi un rapport ambigu à l’école. Ce secteur revendique à la fois une identité propre – ni celle de la petite enfance ni celle de l’école – mais peine parfois à ne pas suivre l’exemple (pas toujours pertinent) du milieu scolaire. Dans plusieurs lieux d’accueil, on a pu observer des cérémoniaux directement inspirés de ce qui se fait à l’école : attendre en silence les bras croisés que les adultes donnent les consignes et autorisent les enfants à manger ; désigner un enfant pour surveiller ses camarades et éventuellement les dénoncer ; utiliser des outils inspirés de la gestion de classe comme la « météo du comportement » très prisée des enseignant·e·s du primaire[5] ; ou plus largement, proposer systématiquement des activités auxquelles on attribue une valeur scolaire, en résumé un « envahissement du scolaire » sur les autres dispositifs éducatifs (Glasman, 2005). Les APEMS ont cependant leur propre cadre de références, projet pédagogique et conception de l’enfant (centralité de l’enfant ; non-compétition, etc.). Dans le concept lausannois des APEMS, il est par exemple indiqué que « les équipes possèdent leur système de représentation de l’éducation » et il faut comprendre là qu’il est différent de celui des familles et de l’école.

Des clichés sur le para/périscolaire balayés par l’observation

A l’école le savoir et au para/périscolaire le jeu ! Ce stéréotype largement répandu influence la perception que les un·e·s et les autres, tout comme les parents, ont des activités professionnelles dans les deux institutions. Les métiers du para/périscolaire sont pourtant loin des clichés véhiculés qui les compareraient à de la garde d’enfants ou de l’organisation de jeux. Il suffit d’observer quelques jours le travail du personnel d’accueil pour saisir la complexité de leurs métiers. Prenons, par exemple, un des points de tension mentionnés plus haut : la sortie de l’école. En fin de journée, lorsque les élèves redeviennent des enfants (à mi-chemin entre la porte de la classe et la table où est servie la collation), une scène vaut la peine d’être observée attentivement.

Le personnel éducatif attend les enfants au sous-sol de l’établissement scolaire et, à la sonnerie, les enfants se « déversent » dans les couloirs. Les rôles sont bien distribués : une éducatrice tient la liste de présences, une autre reçoit des messages et des appels sur le téléphone du groupe et note les absences, deux autres encore accueillent les enfants et leur demandent comment ils vont. Un cinquième adulte se tient derrière une table garnie de tartines au fromage frais et de quartiers de pomme tout en discutant avec le concierge pour maintenir le lien. Les enfants se servent, vont se signaler auprès de l’éducatrice qui tient la liste. Après cinq minutes, tout le monde se regroupe, dix enfants partent de ce côté-ci, douze autres par là ; cet élève qui a des problèmes de comportement plutôt dans ce groupe ; un éducateur fait un détour avec deux enfants qui ont besoin de « faire baisser la pression » avant de rejoindre les autres. Puis, plus personne… En apparence, ce pourrait être une simple distribution de tartines au fromage, mais c’est le résultat d’une coordination fine dans un temps record. Peu de paroles sont échangées durant ce moment, mais on capte des regards et observe des places et des rôles que l’on sent travaillés au préalable, verbalisés maintes fois lors des rencontres d’équipe. On pourrait également mentionner d’autres exemples de tâches complexes effectuées dans les APEMS, que ce soit le travail avec les familles ou l’accueil d’enfants qui ont des besoins particuliers.

En conclusion, la complexité du métier est à mettre en avant, c’est là une porte d’entrée vers de meilleures formations et les reconnaissances qui y sont liées en termes financiers et en termes de légitimité. L’enjeu est de taille pour les personnes actives dans les APEMS, car il s’agit non seulement d’acquérir, mais également de faire reconnaître une certaine expertise dans le champ de l’éducation, aujourd’hui « occupé » par de nombreux autres corps de métiers plus institués, avec lesquels il faut collaborer. De ce point de vue, la crise sanitaire du coronavirus a permis de pointer les enjeux de l’interprofessionnalité. Des responsables d’APEMS nous ont rapporté que cette crise avait modifié les rapports entre l’école et le para/périscolaire, obligeant l’ensemble des acteurs à davantage se coordonner qu’auparavant. Alors qu’il faut redoubler d’ingéniosité afin d’organiser un accueil adéquat pour les élèves et maintenir une journée continue, les APEMS semblent détenir quelques longueurs d’avance sur l’école dans ce domaine. Ce rapprochement accidentel et circonstanciel est l’occasion de mettre en avant les enjeux de collaboration afin d’assurer une prise en charge de qualité. Mais si cette collaboration se noue autour de modalités organisationnelles, il n’y a pas (encore) de signe que l’école aurait fait un « pas de côté » en s’inspirant du modèle pédagogique des APEMS.

Laurent Bovey et Serge Ramel

[1]-Le personnel des APEMS est composé d’assistants socioéducatifs ou d’assistantes socioéducatives, d’éducateurs sociaux ou d’éducatrices sociales de niveau ES ou HES, d’éducateurs ou éducatrices de l’enfance (ES) et de personnes sans formation particulière (des moniteurs et des monitrices ou auxiliaires), d’où la désignation des métiers du para/périscolaire au pluriel. Le terme de métier est ici utilisé dans le sens d’activité rémunérée ou d’emploi. Les emplois dans les APEMS ne réunissent en effet pas les critères des métiers constitués : il n’y a pas de formation spécifique, de reconnaissance du travail par autrui et de regroupement des personnes concernées (Descolonges, 1996).

[2]-Le terme « archipel » est utilisé pour souligner à la fois les liens et la proximité entre les institutions et les dispositifs (une origine « géologique » commune) mais également leur isolement les uns par rapport aux autres.

[3]-Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin.

[4]-Des recherches sur ces thématiques ont été menées en Suisse romande, comme celle de Frédérique Giuliani (2017), ou sont en cours, comme celle de Laure Scalambrin : Des éducateurs sociaux et des éducatrices sociales dans l’école. Une ethnographie multi-située du travail de collaboration interprofessionnelle en contexte d’éducation prioritaire.

[5]-Il s’agit de panneaux sur lesquels sont inscrits, sur des pincettes, les prénoms des enfants. Celles-ci descendent vers des nuages de plus en plus noirs ou montent vers le soleil suivant le comportement et l’humeur du jour. Tant des enfants que des accompagnant·e·s…

Bibliographie

Chatenoud, Céline ; Ramel, Serge ; Trépanier, Nathalie S. ; Gombert, Anne et Paré, Mélanie (2018). « De l’éducation inclusive à une communauté éducative pour tous », Revue des sciences de l’éducation, No 44(1), pp. 311.

CIIP (2003). Déclaration de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), relative aux finalités et objectifs de l’École publique du 30 janvier 2003.

Descolonges, Michèle (1998). Qu’est-ce qu’un métier? Paris, Puf.

Gaussel, Marie (2013). « Aux frontières de l’école ou la pluralité des temps éducatifs », Dossier d’actualité et veille éducative, No 81.

Glasman, Dominique (2005). « Leur reste-t-il du temps pour jouer ? », Diversité: Ville école Intégration, No 141, pp. 51-57.

Giuliani, Frédérique (2017). La construction située de collaborations interprofessionnelles en milieu scolaire. Le cas des éducateurs sociaux au sein des écoles primaires genevoises, Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, 50(4), 89-109.

Maulini, Olivier et Perrenoud, Philippe (2005). « La forme scolaire de l’éducation de base : tensions internes et évolutions », in Maulini, Olivier et Montandon, Cléopâtre (dir.), Les formes de l’éducation: variété et variations, Bruxelles, De Boeck Supérieur, pp. 147-168.

Netter, Julien (2019). L’école fragmentée. Division du travail et inégalités dans l’école primaire, Paris, Puf.

Rayou, Patrick (2016). L’école, entre sanctuarisation et innovation, Diversité: revue d’actualité et de réflexion pour l’action éducative, No 183, pp. 7‑11.

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