Les transitions quotidiennes dans les institutions de la petite enfance

Introduction

Dans cet article, je me propose de revisiter le travail de bachelor que j’ai réalisé dans le cadre de ma formation en éducation sociale à la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne (HETSL) qui portait sur les transitions en institution de la petite enfance.

Le point de départ de ce travail est l’embarras que j’ai ressenti, en tant que professionnelle, lors de ces moments durant lesquels beaucoup de choses se passent simultanément : l’arrivée d’un enfant, le départ d’un autre, la pause d’un·e collègue, le recueil d’informations et sa transcription dans le cahier de transmission, un coup de téléphone… J’avais le sentiment que ces moments étaient complexes et plus nombreux que ce que la structuration d’une journée ordinaire en institution de la petite enfance laisse paraître. J’ai saisi l’opportunité donnée par ma formation pour explorer ces moments d’un point de vue théorique et empirique, afin de mieux les comprendre et, par voie de conséquence, de mieux les penser en termes de pratiques professionnelles.

Mon objectif dans cet article est de rendre visible en quoi ce travail théorique et empirique a contribué à enrichir ma propre réflexion et ma propre pratique professionnelle.

Les moments de transition ? Définitions et composantes

Caffari, en 1994, contribue à donner une existence pédagogique à ces moments. Elle les qualifie d’« intermédiaires » dans le sens où il s’agit de moments de brève durée qui font transition entre des activités de plus longue durée. Elle enjoint les professionnel·le·s de l’enfance à les penser dans leur dimension pédagogique, tout comme elles et ils pensent les autres moments de la journée qu’elles et ils considèrent comme des « temps forts ». Elle recommande par ailleurs de les penser autour de l’enfant en l’invitant, notamment, à y participer. L’enfant peut/doit donc être actif dans ces moments-là.

Malenfant, en 2006, rend visible au travers du syntagme qu’elle utilise pour qualifier ces moments de transition – les « activités de transition » – la nécessité, préconisée par Caffari, de donner un rôle actif à l’enfant. Malenfant les conçoit donc, si nous reprenons la définition du concept d’activité développé par Léontiev (Bronckart, 2005, p. 62), comme une « organisation collective des comportements orientés vers une finalité ou encore visant un objet déterminé » : on se déplace, on range, on nettoie, on se retrouve, on se sépare, on se rassemble… Et, parfois, on attend. Les enfants attendent pour se laver les mains, pour sortir dans le jardin… Malenfant invite les professionnel·le·s à transformer ces attentes, dites « inévitables », en réelles activités de transition, autrement dit en activités durant lesquelles les enfants deviennent actifs et les adultes sont disponibles. Il s’agit dès lors de rendre attractif l’environnement – le lieu et les objets matériels qui y sont présents – dans lequel les attentes inévitables se déroulent.

Schuhl, en 2017, préfère utiliser le terme de « temps » plutôt que celui d’« activité » et revient donc sur la dimension temporelle de ces moments, déjà présente dans les écrits de Caffari, tout en accentuant le fait que ces temps de transition ont un autre rythme que les temps qu’elle qualifie de « reconnus » (p. 17). Ils « prennent place après un temps reconnu, identifié et encadré » (p. 17), ils se répètent tout au long de la journée et « ne sont pas évidents à repérer sur le terrain, car ils passent très vite et sont souvent le signe d’un besoin de se laisser un peu porter par le temps » (Schuhl, 2008, p. 1). Elle leur donne également une fonction particulière, car ils « permettent de libérer l’énergie retenue pendant une activité contenue et organisée » (p. 17).

Thollon-Behar, en 2017, ajoute une nouvelle dimension à ces moments en proposant de les appréhender à travers ce que vivent les enfants (leur subjectivité) et non plus uniquement à travers la manière dont les professionnel·le·s les vivent, les pensent et les organisent. Elle les qualifie de « micro-transitions » et met l’accent sur l’importance que revêt la construction des repères relationnels, spatiaux et temporels. Elle identifie dès lors les conditions qui permettraient à l’enfant de construire ces repères : les informations qui leur sont données sur la suite des activités, l’aménagement de l’espace, les rituels, etc. Un indicateur qui permettrait de s’assurer que l’enfant a vécu une transition « sécure » (Thollon-Behar, 2017) serait le fait qu’il s’engage dans une nouvelle activité.

A noter que ces repères – spatiaux, temporels et relationnels – sont présents chez les trois autres auteures étudiées sans néanmoins être formalisés de cette manière-là : Caffari souligne l’importance de la relation en mentionnant que les professionnel·le·s doivent se rendre disponibles pour les enfants durant les moments intermédiaires ; Malenfant soulève la question des repères spatiaux lorsqu’elle décrit les déplacements comme faisant partie des activités de transition ; Schuhl aborde les questions de temporalité et de rythme.

Une méthodologie pour observer ce que vivent les enfants

Pour répondre à ma préoccupation sur ce qu’il se passe dans les moments de transition, j’ai mobilisé la méthodologie de l’observation telle que proposée par Anne-Marie Fontaine (2008). Pour cette auteure, le travail de l’observation se fait à travers trois niveaux de focalisation. Il s’agit, au 1er niveau, de définir le thème de l’observation ; au 2e, de formuler l’objectif de l’observation sous la forme de questions posées aux enfants ; et, au 3e, d’identifier les comportements des enfants qui devront être observés pour pouvoir répondre à la question posée. Anne-Marie Fontaine est en effet convaincue que « ce sont leurs réactions [celles des enfants] qui guideront la réflexion des adultes pour analyser ce qui répond ou non à leurs besoins, et pourquoi » (2008, p. 29).

Sur cette base, j’ai transformé ma préoccupation première autour de la manière d’organiser les moments de transition en question centrée sur les enfants en portant mon attention sur ce qu’ils vivent durant ces moments-là.

Les moments de transition tels qu’observés et analysés sous l’angle de la construction des repères par les enfants et des facteurs favorisant leur construction

Dans la suite de cet article, j’analyserai deux observations illustrant deux moments de transition rencontrés ordinairement dans les institutions de la petite enfance : un moment de transition entre l’activité du matin et le repas de midi couplé à un moment de séparation parents-enfants, et un moment de transition apparaissant au sein d’une plage horaire dédiée à l’activité du matin.

J’analyserai dans un premier temps ce que vivent les enfants en mobilisant les trois repères – relationnel, spatial et temporel – proposés par Thollon-Behar et tenterai de rendre visible leur imbrication. Je discuterai, dans un deuxième temps, les facteurs qui contribuent à la construction de ces repères par les enfants.

Illustration 1. Un double moment de transition : se séparer de son parent tout en vivant la transition activité du matin-repas de midi

Lors de cette observation effectuée en début d’année scolaire, je me suis tout particulièrement questionnée sur la manière dont un enfant arrivé plus tardivement dans le groupe s’insère dans la collectivité. Dix enfants sont présents au moment de cette transition et deux adultes : Fiona[1], une éducatrice remplaçante, et Lina, une apprentie de 2e année.

10h30 – Madeleine (3 ans et 2 mois) arrive avec son parent (…). Fiona reste au sol (…), à deux mètres environ en face de la porte d’entrée et les salue. Au même moment, trois enfants (…) se déplacent en face de la porte et regardent les nouvelles arrivées (…).

Madeleine pleure, elle ne veut pas que Fiona la prenne dans ses bras (…). Fiona lui demande si elle veut aller vers Lina. Madeleine accepte. Madeleine se déplace jusqu’à Lina.

10h32 – Lina est (…) assise (…) avec Madeleine sur ses genoux. (…)

10h40 – Lina dit aux enfants qu’elle va faire sonner la clochette. Des enfants interrompentt de leur action (…). Lina se lève, se déplace jusqu’au milieu de la salle et pose un grand sac IKEA sur le sol. Elle demande aux enfants d’y déposer tous les objets (…). Fiona est dans le coin dînette. Lina est au centre de la salle et range avec les enfants. Les enfants sont autour d’elles. Madeleine avec son doudou dans les mains se déplace autour des enfants et des adultes qui rangent et les regarde (…).

10h46 – Tous les enfants et les adultes sont assis dans le coin de lecture. Lina montre aux enfants le grand sac rempli (…), en leur disant qu’à présent, il faut les mettre à leur place. Elle pose la question au groupe : « Qui sait où va la poupée ? » (…).

Madeleine est assise à côté de Lina. Elle mâchouille son doudou. Bianca (3 ans et 1 mois), Janine (4 ans et 1 mois), Darius (3 ans et 9 mois), Claire (3 ans) et Nino participent activement au rangement des jouets.

10h53 – Madeleine se lève pour ranger le camion (…).

10h54 – Sept enfants sont assis avec des livres (…). Lina donne les consignes. Fiona est assise avec Madeleine et Claire autour d’elle (…).

11h06 – Madeleine sort des toilettes avec sa serviette et va rejoindre les autres enfants. Elle range son doudou sur la chaise à doudous qui est posée en face de la porte de la salle de bains[2] (…). Elle le pose à côté de celui de Camilo. Il l’avait rangé un peu avant, accompagné par Lina.

Sur le plan relationnel, Madeleine semble choisir la personne avec qui elle veut vivre ce moment de transition : Lina, l’apprentie qu’elle connaît bien mieux que la remplaçante, Fiona. Elle reste ensuite à proximité d’elle pendant une quinzaine de minutes. Il semblerait, à ce moment-là, que le plus important pour Madeleine n’est pas le rôle qu’a chaque personne ou son statut dans l’institution, le plus important pour elle est de construire un repère relationnel stable en restant proche de Lina.

Sur le plan spatial, Madeleine est en mesure, à son arrivée, de traverser en autonomie toute la salle pour aller vers Lina. Sa position dans l’espace est ensuite en lien avec celle de Lina : elle reste assise sur ses genoux, elle suit Lina dans ses déplacements, s’assied près d’elle. Ce n’est qu’après plus de vingt minutes que Madeleine reprend son déplacement autonome dans la salle.

Sur le plan temporel, deux temps sont clairement identifiables. Dans le premier temps, Madeleine reste dans la proximité de Lina et en observation. C’est comme si elle se « posait »[3] et se « pausait »[4]. Dans le second temps, Madeleine se détache de Lina et entre dans l’activité : elle se lève et va ranger le camion.

Ces trois repères – relationnel, spatial et temporel – sont complètement imbriqués les uns avec les autres. Ce n’est qu’au second temps (temporalité) que Madeleine se sépare de Lina (relation) et qu’elle se déplace de manière autonome (spatialité) pour prendre part au rangement. En le faisant, elle partage le même objectif que les autres membres de la collectivité – ranger les jouets – et ce même si elle n’avait pas participé à l’activité du matin. En s’appropriant cet objectif partagé, elle s’insère dans la collectivité.

Il est intéressant à présent d’analyser les facteurs qui contribuent à l’insertion de Madeleine dans l’activité. Le premier facteur est la disponibilité des adultes présents et leur capacité à répondre à ses besoins : le besoin d’être accueillie par la personne qu’elle connaît le mieux et non pas par la personne désignée par l’institution pour accueillir les enfants, ici, la remplaçante, et le besoin de prendre un temps pour se « pauser » en se « posant » dans un espace connu : les jambes de l’apprentie.

Le deuxième facteur est la manière dont Lina organise le moment de transition entre l’activité du matin et le repas de midi. Elle conçoit ce moment comme une activité, dans laquelle un objectif commun est fixé : rassembler les objets dans un sac IKEA pour ensuite les ranger un à un dans l’espace qui leur est attribué. Il est intéressant de souligner qu’en organisant ainsi le rangement, elle « prend la main » sur la temporalité : elle donne le tempo ; sur la spatialité : elle rassemble les enfants autour du sac IKEA ; sur la relation : elle rassemble les enfants autour des adultes. A noter, ici aussi, que l’éducatrice remplaçante, désignée par l’institution comme responsable des activités, n’est pas la principale actrice du rangement, mais qu’elle est là en soutien à l’activité de Lina.

Les interventions des deux adultes en présence, qui se modèlent au gré de la situation et qui, d’une certaine manière, sortent des prescriptions tout en respectant le cadre institutionnel, contribuent à rendre possible l’intégration de l’enfant dans la collectivité en lui laissant choisir avec qui elle souhaite vivre ce moment de transition, en lui laissant le temps d’accorder son propre rythme à celui de la collectivité, en lui proposant une activité dans laquelle elle peut partager le même objectif que les autres membres de la collectivité.

Rêver, vouloir – Collectif CrrC
Palimpseste1 – Collectif CrrC

Illustration 2. Un moment de transition au cours d’une plage horaire dédiée à l’activité du matin

Lors de cette observation effectuée en fin d’année scolaire, je me suis questionnée sur la manière dont les enfants réagissent en collectivité lors d’un changement d’activité au sein d’une plage horaire dédiée à l’activité du matin. Neuf enfants sont présents et deux adultes : Isa, une éducatrice remplaçante, et Lina, apprentie de 1re année.

10h15 – Isa (…) annonce qu’elle va arrêter la musique et l’éteint tout de suite. Elle dit aux enfants de prendre des jeux de société qui se trouvent dans l’étagère.

Trois filles (…) vont s’asseoir à table, chacune avec sa boîte contenant des jeux. Trois garçons, Achille (4 ans et 8 mois), Nicholas (3 ans et 11 mois), Emil (4 ans et 4 mois), se déplacent vers la table avec un jeu consistant à attraper une bille puis s’asseyent.

Isa s’assied au sol près de la table et écrit. Romy (…) avec son jeu (…) s’installe par terre en face d’Isa.

De l’autre côté de la salle, Lina est assise sur le tapis du coin lecture avec Bianca (2 ans et 9 mois) et Valerian (3 ans et 3 mois).

10h19 – Emil et Nicholas se lèvent de table, se déplacent vers l’étagère, prennent une boîte avec des gros puzzles et se déplacent vers moi. Ils se mettent à genoux au sol en face de moi.

Nicholas ouvre la boîte, sort des pièces et commence à les assembler. Emil se lève et se déplace vers Lina. Il reste vers elle quelques instants, puis retourne auprès de Nicholas.

10h22 – Eliza, Anémone, Mimi et Achille sont assis à table.

Isa est toujours assise par terre à côté de la table. Romy est assise au sol face à Isa et fait un jeu de société, seule. Emil et Nicholas sont assis sur les genoux en face de moi et construisent leurs puzzles. Bianca est couchée sur les coussins dans le coin lecture et Valérian aussi sur un autre coussin.

Relevons pour débuter cette analyse que l’éducatrice remplaçante introduit un changement d’activité au cours de la plage horaire dédiée à l’activité du matin ; autrement dit, elle demande aux enfants de passer d’une activité « danse sur de la musique » à une activité « jeux de société ». Ce changement d’activité « objectif » s’accompagne d’un moment « subjectif » de transition. Les enfants ayant à changer de rythme – rythme rapide et quelque peu chaotique à un rythme plus lent – au travers notamment du choix d’un jeu de société.

Intéressons-nous à présent à Emil, celui-ci ayant tout particulièrement attiré mon attention au cours de cette observation. Entre le moment où l’éducatrice remplaçante a arrêté la musique et le moment où Emil s’est engagé dans une activité avec Nicholas, il s’est passé environ sept minutes. Durant ces sept minutes, Emil s’est déplacé, s’est posé vers Achille et Nicholas ; s’est relevé, s’est déplacé, s’est posé vers Nicholas ; s’est relevé, s’est déplacé, s’est posé vers Lina ; s’est relevé, s’est posé vers Nicholas et s’est engagé dans une activité avec celui-ci.

Sur le plan relationnel, Emil semble choisir, tout comme Madeleine l’a fait dans le premier exemple, la personne avec qui il souhaite vivre cette transition. Il suit Nicholas tant dans ses déplacements que dans ses activités. Cela ne semble néanmoins pas être suffisant pour qu’il puisse s’engager dans l’activité prescrite par l’adulte. Ce n’est en effet qu’après s’être rapproché de Lina, s’être « posé » et « pausé » vers elle, qu’il est en mesure de s’engager dans l’activité avec Nicholas.

Sur le plan spatial, Emil se déplace dans un premier temps avec Nicholas puis s’en détache pour se déplacer de manière autonome vers Lina. Il revient enfin vers Nicholas pour s’engager dans l’activité.

Sur le plan temporel, Emil prend environ sept minutes pour transiter d’une activité à l’autre. Il prend « son » temps. « Son » dans le sens où ce temps semble lui être nécessaire pour investir un nouveau jeu.

Ces trois repères sont, tout comme ils le sont dans la 1re illustration, imbriqués les uns avec les autres. Pour s’investir dans la nouvelle activité prescrite par l’éducatrice remplaçante, Emil prend « son temps » (temporalité). Ce temps est fait de déplacements (spatialité) : un 1er déplacement prescrit par la consigne, un 2e et un 3e déplacement avec Nicholas, un 4e et un 5e déplacement en autonomie. C’est comme si le mouvement lié au déplacement lui permettait de passer du rythme rapide lié à la musique à un rythme plus lent lié aux jeux de société. Ces déplacements sont par ailleurs toujours en lien avec une personne (relation) : Nicholas dans un premier temps, Lina dans un deuxième, à nouveau Nicholas dans un troisième.

Il est intéressant de souligner ici que, même si Emil et Nicholas sont tous deux contraints par la consigne donnée par l’éducatrice remplaçante de changer d’activité en même temps et qu’au final, ils jouent au même jeu de société, leur expérience vécue durant ce changement d’activité semble être complètement différente : leur temporalité est différente, leur spatialité aussi, leur relation tout autant.

Si nous analysons les facteurs contribuant au changement de rythme, nous pouvons constater que l’éducatrice remplaçante a non seulement imposé un changement de rythme aux enfants, mais qu’elle leur a également donné une contenance en leur fixant explicitement une nouvelle finalité : faire un jeu de société. La manière dont les adultes présentes se sont posées et réparties dans la salle a également contribué à faciliter le changement de rythme, ces adultes étant assises au sol dans différents lieux de la salle. En étant ainsi « posées » au sol, elles ont montré aux enfants comment se « poser » eux-mêmes. En étant réparties dans l’espace, elles « contenaient » ou « sécurisaient » par leur présence l’entièreté de la salle de vie et ont ainsi rendu possible l’engagement de tous les enfants dans une nouvelle activité faite d’une nouvelle rythmicité.

Conclusion

En guise de conclusion, ce travail de bachelor revisité à travers cet article est une belle opportunité pour moi d’améliorer ma compréhension de la pratique professionnelle en éducation de l’enfance et, par voie de conséquence, de l’enrichir. Voici plus particulièrement quatre réflexions que je souhaite partager ici.

1re réflexion : La pratique professionnelle organise les comportements des enfants et les expériences vécues des enfants impactent en retour la pratique professionnelle lorsque la ou le professionnel·le se laisse toucher par elles. Il s’agit, en quelque sorte, d’une danse entre pratique professionnelle et expérience vécue des enfants. La ou le professionnel·le saisit les indices semés par les enfants et ajuste sa pratique en conséquence. Il y a quelque chose qui s’organise temporairement jusqu’au prochain ajustement. Ce réajustement constant est ce qui rend passionnant ce travail.

2e réflexion : Une intervention éducative qui a pour objectif d’engager collectivement les enfants dans une nouvelle activité a un impact complètement différent sur chaque enfant, leur expérience individuelle étant singulière. Autrement dit, entre le moment où l’objectif collectif est fixé et le moment où tous les enfants l’ont atteint, il y a de multiples expériences singulières. Chaque enfant a son propre rythme, suit son propre rythme. Le temps des adultes qui s’inscrit dans le temps institutionnel (temps objectif) est différent de celui du collectif d’enfants (temps subjectif). Cette temporalité collective des enfants est constituée des temporalités propres à chacun·e des enfants de ce collectif. Ce rythme, propre à chaque enfant, ne peut pas être prescrit par l’adulte, par contre, la présence et la disponibilité de l’adulte offrent à l’enfant les conditions pour qu’il ou elle puisse à terme s’engager dans une nouvelle activité. Tout cela fait que le moment de transition est si complexe.

3e réflexion : La pratique professionnelle en éducation de l’enfance est quelque chose qui dépasse le simple cadre de la fonction et de la prescription, elle est faite de relation, de disponibilité, de présence à l’enfant et d’intelligence en situation. Comme je l’ai montré dans l’analyse de la 1re illustration, l’éducatrice remplaçante et l’apprentie co-ajustent leurs pratiques à la situation : l’apprentie, qui connaît le mieux les enfants, gère la situation sous la supervision de la remplaçante qui est la garante de son bon déroulement. Il n’est nullement question de cahier des charges ou de prédominance des statuts. Il est question d’agir en bonne intelligence en situation, au service de tou·te·s les enfants accueilli·e·s dans la collectivité.

4e réflexion : Plonger dans la situation en mobilisant, d’une part, l’observation et, d’autre part, l’analyse fine de celle-ci permet de se détacher de sa première impression, de sa confusion, d’une représentation qui est souvent très personnelle. On sort de l’idée d’appliquer à tout prix une prescription préalable et on renoue avec l’intelligence en situation. Le changement de regard sur les situations nécessite de recourir à la méthodologie de l’observation, méthodologie qui permet de se « pauser » en se « posant » et de rendre ainsi visibles les multiples ajustements entre les professionnel·le·s et les enfants, de penser autrement et de reconnaître les compétences de chacun·e. Que celles-ci soient celles des professionnel·le·s ou celles des enfants.

Doina Dumitrascu

Bibliographie

Bronckart, Jean-Paul (2005), Une introduction aux théories de l’action. Genève, Carnets des sciences de l’éducation.

Caffari, Raymonde ; Desarzens, Martine (1994a), Les moments intermédiaires [Film DVD], ACAE, Lausanne.

Caffari, Raymonde ; Desarzens, Martine (1994b), Etre acteur et spectateur [Film DVD], ACAE, Lausanne.

Fontaine, Anne-Marie (2008), Observer en équipe dans les lieux d’accueil de la petite enfance: développer l’observation projet, Erès, Toulouse.

Malenfant, Nicole (2006), Routines et transitions en services éducatifs, Les Presses de l’Université Laval, Québec.

Schuhl, Christine (2008), « Temps de transition », Métiers de la petite enfance, 137, 1.

Schuhl, Christine (2017), « Les temps de transition ou le paradoxe de la continuité », Métiers de la petite enfance, 242, 17-18.

Thollon-Behar, Marie-Paule (2017), « Etude des micro-transitons quotidiennes et construction des repères en crèche : des professionnelles en recherche ». Dans Rayna, Sylvie ; Garnier, Pascale (dir.), Transitions dans la petite enfance: recherches en Europe et au Québec Peter Lang, Bruxelles, pp. 65-80.

 

[1]-Tous les prénoms sont des prénoms d’emprunt.

[2]-La chaise à doudous est posée entre la porte de la salle de bains et la porte d’entrée afin de permettre « aux doudous de regarder passer les enfants ».

[3]-Se « poser » dans le sens de s’asseoir quelque part, s’y arrêter (Larousse) d’un point de vue physique.

[4]-Se « pauser » dans le sens de faire une « pause », d’interrompre son activité.

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