Le 139 esquissé

Le dossier

Breviglieri considère les espaces publics urbains, façonnés par des adultes pour des adultes. Du fait de discours et de pratiques sécuritaires s’étant sédimentées ces dernières décennies, les enfants peinent à prendre part à la vie de la ville. Dès lors, Breviglieri propose une entreprise transformatrice qui s’ancre dans un travail essentiellement épistémologique : le point de vue de l’adulte sur l’enfant y est mis en regard de la vision de l’enfant sur le monde. « Et c’est d’abord là, dans le décentrement de l’attention enfin débarrassée de ses biais adulto­centrique et anthropocentrique, que s’envisage l’hospitalité faite aux enfants. »

Frund pose que la participation, à ce jour, reste encore à advenir. Si elle est au cœur des discours légitimes à tous les niveaux institutionnels, la mise en œuvre de la participation des enfants échoue néanmoins, « le modèle participatif n’étant pas constitutif de la norme dominante, et la mission des institutions accueillant des enfants restant de les socialiser à cette norme ». Cultiver la complémentarité entre les perspectives académique et professionnelle pourrait s’avérer une piste féconde vers la participation, enfin.

Fracheboud et Nussbaumer rappellent qu’on ne crée pas de la participation d’un claquement de doigts, par exemple en se mettant à faire voter des enfants en bas âge. Un concept de participation viable nécessite de la part des adultes assumant des responsabilités éducatives, de plancher sérieusement sur les conditions structurelles nécessaires à l’émergence d’un prendre-part, sur des conceptions du collectif qui permettent de compléter celles trop individualisantes axées sur les droits de l’enfant, et enfin sur les rapports de pouvoir adultes-enfants, souvent noyés sous des représentations iréniques de la relation éducative.

Borel, Moussaid et Vernain partent de la question de la prise de décision pour problématiser le rapport des enfants à la quasi-infinité des possibles face auxquels se trouve placé l’individu contemporain. La participation doit-elle équivaloir à imposer cette béance aux enfants, qui n’auraient plus de cadres auxquels se confronter ? Ou peut-elle se créer dans le ­déroulement de la vie quotidienne, où les contraintes propres à la reproduction et au soin de la vie, et où la participation de toutes et tous à ce processus vital, offrent des balises essentielles tant pour les grandes que pour les petites personnes ?

De Luca expose les pratiques participatives développées et défendues par la structure d’accueil parascolaire dont il est responsable. Le collectif d’enfants, avec son expertise et sa force de vie, occupe une place centrale, sans que soient pour autant invisibilisés les enjeux de pouvoir qui cadrent et limitent la puissance d’agir des enfants. On ne manquera pas d’être impressionné par la pugnacité et les stratégies mises en place par ce collectif d’enfants en vue d’acquérir une console de jeux vidéo.

Gey et Bellion-Banide questionnent le lien qui s’est opéré dans les pratiques et les discours éducatifs, entre soutien à l’autonomie et valorisation de la participation. Le caractère polymorphe, pour ne pas dire idéologiquement chargé, de la notion d’autonomie fait courir le risque d’une instrumentalisation dont les principaux bénéficiaires, en bout de course, ne sont pas les enfants. Surstimulation, accélération des apprentissages, performances précoces, environnement de vie ultramonitoré, travail scolaire déguisé en jeu : tout est normal, c’est pour ton bien, mon enfant.

Zogmal et Garcia se penchent de près sur les moments clés que sont les arrivées et les départs dans les structures d’accueil de la petite enfance. Il s’y joue beaucoup de choses – accueil de l’enfant, séparation d’avec son parent, échanges d’informations, « retour » de la journée aux parents – et intégrer les enfants à ces situations de communication est exigeant. Mais assurer la participation des enfants à ces interactions est essentiel pour favoriser la participation, présente et à venir, à la vie sociale de manière large.

Tschumi et Nussbaumer montrent un objet participatif, fruit de la collaboration entre elle, 5 ans, et lui, son père : un livre sur les êtres humains. On y observe une des manières dont la culture dans laquelle évoluent les enfants peut être perçue et reproduite, dans un fascinant entrelacs de similitudes et d’étrangeté : la mise en rapport et en communication des mondes adulte et enfant dans la création d’un artefact culturel est envisagée comme un point de départ fécond pour penser la participation au monde des enfants.

Les savoirs des couloirs

Kühni, Bovey et Laeser prêtent une attention fine aux « petites participations journalières » de tous ordres qui jalonnent le ­quotidien des ­structures d’accueil de la petite enfance. Les « petites gouttes participatives » dont est faite la vie dans ces collectifs peuvent établir les conditions d’un vivre ensemble meilleur, elles sont porteuses d’enjeux non seulement éducatifs mais également politiques, pour autant qu’on soit à même de les intégrer à la pratique professionnelle au sens large.

Dire & Lire

Kühni présente une publication récente du collectif français CEP-Enfance, laquelle fait état des manquements graves observés dans le monde de l’enfance. En Suisse, malgré le vernis d’excellence et de vertu dont certains continuent de parer notre pays, la situation est peu ou prou la même, on y manque de forces vives, d’intelligences politiques, de moyens humains et financiers. CEP-Enfance propose des voies pour sortir de cette situation tout à la fois alarmante et honteuse.

Quentin Nussbaumer
et Robert Frund

Les civilisés – Collectif CrrC
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