Travailler et transmettre le métier

« Il y a, en effet, un écart irréductible entre la théorie et la pratique : la pratique échappe toujours un tant soit peu à la théorie (elle ne peut se réduire aux seules compréhensions théoriques que l’on en a), et la théorie dépasse toujours quelque peu la pratique (il est toujours possible de produire d’autres discours théoriques sur telle ou telle action). C’est dans cette béance (qui tout à la fois sépare et unit) que se fabrique la pédagogie. » (Houssaye, 1993)1

Un socle commun mais des actions plurielles[1]

On imagine parfois naïvement que la formation pratique consiste à être plongé∙e dans le travail et que le « métier » va rentrer, comme par capillarité, à partir de cette immersion. C’est évidemment un peu plus complexe que ça et nous allons essayer d’en retracer les enjeux à grands traits[2]. Pour commencer, dans tout métier, se former, ce n’est jamais seulement apprendre à faire en recopiant les gestes de ceux et celles qui les maîtrisent, ni même appliquer des savoirs acquis à l’école aux situations rencontrées. Il s’agit non seulement d’être capable de faire, mais aussi de comprendre ce que l’on fait, de pouvoir expliciter le raisonnement qui sous-tend l’activité, de saisir au vol l’inattendu, ce qui va permettre de réadapter son action à la diversité des situations rencontrées. En effet, le réel se révèle toujours plein de surprises et le bon travail consiste à ne pas s’arrêter à chaque variation en attendant d’avoir été initié·e à la traiter.

Le travail éducatif auprès de jeunes enfants n’échappe pas à la règle, quand bien même, au café du commerce, on continue à penser qu’il s’agit à peine d’un travail et qu’un peu de bon sens ainsi que des qualités personnelles « féminines » comme la patience et la douceur y suffisent. Ce regard sur le métier est d’ailleurs renforcé par le fait que, comme d’autres métiers du care, l’éducation de la petite enfance est un travail discret, qui se remarque surtout quand il ne se fait pas et que, comme l’a montré Sadock (2003), même les professionnel∙les ont tendance à le présenter sous une face « enjolivée ». Apprendre, d’autant plus dans un métier peu formalisé dans lequel les professionnel∙les doivent s’adapter à chaque situation du moment, à chaque enfant singulier, avec un haut degré d’incertitude et d’imprévisibilité, ne peut se faire uniquement par l’observation et la répétition des gestes ou des manières de faire des professionnel∙les chevronné∙es, et sûrement pas non plus par l’application de prescriptions. Autrement dit, les apprenant∙es ne doivent pas être placé∙es uniquement dans un rapport de production ni de reproduction du même, mais un aménagement doit être mis en place pour leur permettre de penser la pratique. Il ne suffit pas de faire, il faut mettre à jour les observations, les réflexions, les débats qui sous-tendent l’action. Il faut tisser des liens entre les connaissances théoriques et les situations singulières rencontrées afin de construire des connaissances situées, constamment réinterrogées et développées à plusieurs, dans l’interaction. Par ailleurs, ce travail se déroule au sein de plusieurs collectifs imbriqués les uns dans les autres : celui des enfants, des familles de ces enfants et celui de l’équipe éducative. On perçoit la complexité de l’affaire. Comme le relèvent Fillietaz et Zogmal (2020, p. 30), il s’agit de comprendre et d’interpréter une demande, de résoudre un problème adressé par un enfant, non pas isolé, mais faisant partie lui-même d’un collectif qu’on ne saurait oublier et ceci en interaction avec les autres professionnel∙les et les parents (ceux-ci étant non seulement des données du problème mais aussi bien souvent des ressources pour faire face aux situations). Il ne s’agit donc pas seulement de développer des compétences individuelles. « L’efficacité du travail ne saurait être un produit de l’activité individuelle mais le résultat d’un engagement collectif » (ibidem p. 29). Chaque équipe développe un « genre »[3] différent dans lequel l’apprenant∙e va devoir trouver sa place, mais aussi coordonner et ajuster son travail avec les autres membres de cette équipe.

Il faut encore relever que, à la suite de la mise en place des trois niveaux de formation dans les métiers du social (CFC, ES, HES), les professionnel∙les accompagnent la formation pratique de personnes provenant d’écoles diverses et variées, avec des référentiels et des niveaux différents, mais intervenant sur une même pratique.

Comment concrètement, les référent∙es professionnel∙les[4] s’y prennent-ils et elles pour aménager la situation de stage, que mettent-ils et elles en place ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Quels sont les ingrédients et les freins pour que la formation pratique permette ou non d’apprendre ? Nous avons décidé d’aller une nouvelle fois arpenter les couloirs des institutions pour interroger les personnes concernées elles-mêmes, les référent∙es terrain, mais aussi les apprenant∙es[5] . Nous avons fait le choix de ne pas nous attacher à des apprenant∙es d’un seul type de formation, ni à des référent∙es ayant toutes et tous suivis l’une ou l’autre des formations d’accompagnement à la pratique professionnelle.

La métaphore du cheminement et de ses étapes s’est vite imposée.

 

Fin d’idyle – Collectif CrrC
Pause élégante – Collectif CrrC

Se mettre en route

Chaque référent·e rencontré·e a mentionné ce qu’on pourrait appeler « l’ossature du stage » (l’accueil de la personne, sa présentation aux familles, la progression des tâches confiées, les compétences travaillées, le contenu des entretiens, les bilans successifs, etc.). Elle est construite de manière plus ou moins formalisée, souvent en équipe, ou en tout cas, avalisée par elle.

REF 4 : « J’ai fait une sorte de canevas du premier entretien comme ça, je pourrais l’utiliser à chaque fois que j’ai une nouvelle personne (…) je lui transmets nos attentes (…) je lui ai donné une liste de tout ce qu’elle peut observer (…) et je lui demande de tenir un cahier (…) on a un entretien une fois par semaine (…) [les points traités dans l’entretien sont] le point météo, les aspects liés à l’école, les objectifs en cours, les projets en cours, les analyses de pratiques en cours. »

REF 3 : « Par rapport aux entretiens, je fixe déjà un cadre, c’est peut-être un peu général, mais le truc que je fais particulièrement que j’ai appris à la formation PF et qui a beaucoup de sens pour moi, c’est la charte de collaboration, je trouve vraiment important de mettre les objectifs de la collaboration, (…). »

«On commence toujours lentretien par une minute de savoir comment ça va, ça peut être vraiment en lien avec le travail, en lien avec le privé, en lien avec les deux, (…). »

REF 2 : « Moi l’idée, c’est de pas mal partir d’où elle vient avec ce qu’elle a travaillé avant, avec un peu son niveau du jour et, au début, c’est un peu une mise à plat des compétences, de où elle en est. »

«Jaime bien raconter en termes de responsabilité, je dis beaucoup nous, léquipe, linstitution, intégrer léquipe dès le départ. Nous, on va aménager un espace de travail pour toi, dexploration, pour ta formation, mais on attend que tu sois, toi, responsable et actrice de cette formation-là. »

Une des apprenantes relève qu’une certaine structure la soutient dans son stage qui autrement, comme elle l’a vécu, peut devenir un espace flou dans lequel elle ne sait plus comment se repérer. Où ce qu’elle peut faire ou ne pas faire ne dépend que du bon vouloir des uns et des autres.

AP 6 : « Je me souviens, quand j’avais commencé mon premier stage (…). Je trouve que ça allait dans tous les sens (…) c’était à moi de dire les choses, mais des fois on m’imposait et puis je disais : “Non, je ne suis pas forcément capable de faire ça… » Mais maintenant avec les stages en formation, on a des compétences à acquérir, donc cest un peu structuré par lécole en fait.»

Comme le dit Ulmann (2018, p. 19) : « Peut-on demander à celui qui apprend de savoir ce qu’il doit apprendre ? » Cette responsabilité ne peut pas reposer uniquement sur la personne en formation. Cette auteure, lors d’une recherche sur les stages effectués dans le cadre du CAP petite enfance en France raconte, à l’extrême, qu’« elles arrivaient le matin sans savoir ce qu’elles feraient dans la journée. Si elles n’ignoraient pas l’organisation globale d’une journée (…), elles n’en savaient guère plus et se trouvaient là sans projection possible sur la journée complète », certaines tutrices leur confiant pourtant des responsabilités, mais d’autres ne leur permettant que de réaliser des tâches partielles. (Ibid., p. 20)

S’ajuster au pas de l’autre

En parallèle, les référent∙es relèvent que le déroulement du stage lui-même, les responsabilités confiées, les points travaillés, tout en correspondant à ce qui est attendu par les écoles de formation et par le cadre fixé par l’institution, doivent être adaptés à chaque personne, à son expérience préalable, à ses intérêts :

REF 4 : « D’une part, j’essaie de m’adapter à la demande de la personne que j’ai en face de moi. Qu’est-ce qu’elle veut faire, qu’est-ce qu’elle veut travailler en termes d’objectifs ? (…) Je me base sur un document qui répertorie tous les objectifs que l’apprenti est censé faire durant les trois ans. (…) Puis ces objectifs je vais parfois les adapter pour qu’ils conviennent mieux à ce que moi je veux ou à ce que l’apprenti veut faire. »

REF 5 : « Alors je suis convaincue qu’il faut s’adapter à la personne. (…) On a des étudiantes qui sont très à l’aise au niveau contact social, on en a d’autres qui sont plus timides, qui ont besoin d’avoir observé, et puis d’autres qui vont aller plutôt dans le faire, il faut plutôt leur dire : “Non, non, mais prenez votre temps !” (…) Je pense que c’est ça le gros exercice, (…) il y a des personnes où on laisse aller un peu plus vite parce qu’on voit bien que, par leur parcours, par leur envie d’apprendre, elles sont déjà prêtes pour faire même vingt-trois choses en plus que ce qui est convenu dans leurs compétences. »

Il faut parfois chercher des stratégies, changer le cadre pour aider l’apprenant∙e dans sa progression, comme dans ces exemples, où les référent·es font face à une personne plutôt passive et qui exprime peu son avis :

REF 3 : «Ça mest déjà arrivé, une stagiaire qui amène pas beaucoup de matière et du coup, je dois aller lui tirer les vers du nez pour que nos entretiens ne soient pas vides (…). Je trouve que ça demande beaucoup de patience, de compréhension, cest des questions sur la mise en commun entre sa personnalité et la découverte du métier.»

REF 4 : « [Avant] j’avais défini des thématiques à l’entretien, mais c’est moi qui menais l’entretien. (…) Maintenant, (…), c’est elle qui amène les sujets. Je lui ai dit : “Tu vois un peu comment je travaille, comment on a travaillé. La semaine prochaine, tu as les thématiques en tête et on fait l’inverse”. (…) Je pense que c’est plus formateur pour l’apprentie. Comme ça elle se sent plus concernée. »

Laisser un espace à l’apprenant·e pour chercher son propre chemin

Les apprenant∙es revendiquent le fait d’avoir une marge de manœuvre dans la manière dont le stage est organisé. En particulier, ils et elles tiennent à ce qu’il soit tenu compte de leurs expériences antérieures afin de leur proposer des tâches qui se complexifient progressivement, durant le stage, mais aussi d’un stage à l’autre. En cela, les points de vue des référent·es et des apprenant∙es semblent bien se rejoindre.

AP 6 : « Ben c’est vrai que, aussi, avec les expériences passées, on sait de quoi on est capable ou pas. La première année, j’ai eu une table avec cinq enfants, alors je ne vais pas recommencer cette année avec une table à cinq, je vais prendre plus parce que je me sens capable. (…) Je trouve que si, avant, on a déjà eu une table, ou n’importe quoi, on l’a déjà fait, on doit être capable de le dire : “Ça je l’ai déjà fait, j’aimerais évoluer.” Parce que, si on répète et répète… Il faut qu’il y ait une progression. »

AP 6 découvre de l’intérieur que la progression n’est pas linéaire, elle n’est pas une accumulation d’étapes successives et chronologiquement agencées, mais une boucle ininterrompue d’interactions, de coélaborations dans les duos formatifs ou en équipe.

La possibilité d’avoir un espace d’expérimentation à leur portée est aussi relevée comme un élément important pour soutenir l’apprentissage du métier.

AP 5 : « Les freins, ce serait si on avait de l’aide, mais sans liberté. En fait, c’est qu’on nous dise : “Tu fais ça, fais ça, fais ça.” A ce moment-là, on a une perception qui est très fermée, étroite et après, on n’apprend pas en fait. Enfin, on apprend à écouter, à faire ce qu’on nous dit mais pas à rechercher par nous-mêmes. » (…) « C’est une des meilleures choses que j’ai ici, c’est que justement, je peux expérimenter beaucoup, je peux proposer plusieurs activités. Après, on peut me dire, fais plutôt comme ça, comme ça, mais je peux moduler. Et je pense, ça, c’est quelque chose qui m’a beaucoup aidé à apprendre. »

AP 7 : « Alors moi, c’était plutôt de prendre plus d’initiatives. (…) Les éducatrices ne doivent pas juste nous dire comment il faut faire, elles doivent aussi nous faire confiance et nous laisser un peu plus de liberté. (…) ça me permet d’apprendre, de me faire de plus en plus confiance. »

REF 4 : « Elle prend de plus en plus d’initiatives et c’est ce que je lui demande. Tant qu’il n’y a pas de problème de sécurité, je vais la laisser faire (…) comme ça elle peut développer sa propre manière de faire. »

REF 5 : «Je pense que cest ça la difficulté de laccompagnement sur le terrain. Cest quil faut déjà savoir un petit peu où est-ce que la personne elle en est et puis lui laisser cet espace, quelle expérimente. Parce que cest le but, cest quelle évolue autour de professionnel·les, (…) et que nous, on se situe par rapport à la marge de manœuvre qu’on lui donne. »

Comme le relève Ulmann, « un acte formatif ne peut relever de la seule conformation. Il se trouve en effet toujours à l’articulation de trois champs : celui de la vie psychique (la personne), celui des conduites humaines (le groupe) et celui du champ social (l’institution) (Enriquez, 1992), l’acte de travail (…) suppose donc des choix. Les personnes ont en effet à arbitrer entre plusieurs déterminants conscients et inconscients, notamment les prescriptions, les règles, leurs valeurs, leurs habitus sociaux et culturels, les points de vue de leurs collègues… » (op. cit., pp. 15-16). Si un accompagnement est indispensable, il doit rester discret lui aussi pour réussir.

Les apprenant·es revendiquent encore de pouvoir dire quand c’est trop difficile, quand ils·elles ne se sentent pas prêt·es, comme cette apprenante à qui avait été confiée la tâche d’animer un moment d’accueil et qui explique s’être retrouvée en grande difficulté. Elle a demandé à sa formatrice si c’était possible de découvrir d’autres aspects du métier avant celui-ci. Une autre apprenante raconte avoir, en accord avec l’équipe, renoncé à s’occuper d’un enfant pendant quelque temps, car elle sentait qu’elle avait de la peine à prendre du recul sur la relation difficile qui s’était instaurée. Elle précise comment cette pause a été bénéfique pour ensuite réinstaurer la relation avec l’enfant.

Mais, relèvent nos interlocuteurs et nos interlocutrices, au-delà d’une stratégie réservée au temps d’apprentissage, c’est une manière de faire qui fait partie du bagage professionnel. Ils et elles ont observé que les éducateurs et les éducatrices également utilisaient ces passages de relais et ce temps de recul dans leur travail.

AP 7 : « Je pense que c’est la même chose aussi pour les éducatrices. Donc c’est un modèle que vous voyez et on peut aussi se dire que, des fois, c’est mieux de ne pas faire une tâche que de la faire dans un état émotionnel pas bon, je pense que c’est bien aussi pour l’enfant. »

AP 6 : « Je trouve qu’en tant que stagiaire, on a le droit… Et même en tant que professionnelle, de dire des fois: Cest stop, là jen peux plus, il faut que je sorte, prends le relais, parce que c’est trop !” Moi je trouve que c’est une bonne marge de manœuvre. »

La trinité – Collectif CrrC
Le poids des mesures – Collectif CrrC

Cheminer à deux

Un point central qui ressort des entretiens est l’importance de la relation qui se tisse entre le·la référent·e et l’apprenant·e. Durand (2016, p. 2) relève d’ailleurs la place prise par ces enjeux relationnels pour les apprenant∙es dans des situations de formation pratique. Elle relève que la qualité de la relation établie avec la personne qui les accompagne semble souvent, à leurs yeux, plus importante que les conditions de travail, voire même que la transmission du métier lui-même, ce qui peut sembler surprenant. S’agit-il d’une dérive ? D’une incapacité à distinguer ou plutôt à articuler les sphères professionnelles et personnelles ? Ou simplement, cette relation est-elle nécessaire pour permettre l’apprentissage ?

Nous pensons que la construction d’une relation contient, mais surtout dépasse la seule transmission.

La relation ici est montrée comme une « poupée gigogne », où les différentes enveloppes se soutiennent, permettent, servent de substrat au processus de professionnalisation. Elle est le terreau nécessaire à la confiance, mais elle ne peut se résumer à un soutien psychologique.

Voici ce que les apprenant∙es en disent :

AP 6 : « Le lien de confiance, comme ça a été dit, je trouve que c’est hyper important, savoir qu’on peut compter sur notre formatrice, mais qu’elle peut aussi compter sur nous, si il y a quelque chose qui ne va pas bien. »

AP 8 : « Le fait d’en parler à la formatrice et qu’elle nous soutienne (…) qu’elle nous fasse confiance, en fait, on peut aller de l’avant. »

AP 5 : « La première était très compréhensive, quand j’avais des idées, elle m’écoutait, puis elle me donnait des conseils, alors c’était super. Puis, il y en avait une autre, c’était très très carré, très dénigrant. »

Les référent∙es en sont conscient·es et tentent de soigner cet aspect. Une des personnes interrogées raconte une situation où la relation s’est mal « emmanchée », ce qui a amené une certaine méfiance de part et d’autre, avant de pouvoir, grâce aux efforts conjoints de toutes et tous, rétablir la relation. Un autre rapporte l’importance qu’il a mise à établir un lien de confiance avec une apprenante :

REF 4 : « J’avais l’impression à un moment donné qu’elle me faisait pas confiance (…). Je l’ai vue aller parler avec mes collègues plutôt que moi. (…) Du coup, ça m’a questionné. J’avais l’impression qu’elle allait voir mes collègues pour discuter de trucs et puis que du coup, moi je l’apprenais par derrière par mes collègues et pas par elle. Et puis, du coup, j’ai pu questionner ça. »

Par ailleurs, accompagner un∙e apprenant∙e ne semble pas possible sans une implication qui va au-delà du professionnel : les référent∙es soulignent qu’il s’agit de personnes souvent jeunes, qui traversent des étapes de vie importantes comme quitter sa famille pour s’installer dans un nouveau logement, parfois avec un compagnon, ou rencontrer des difficultés ­personnelles, des joies aussi qui ne peuvent être simplement ignorées. Les référent∙es et les membres de l’équipe en sont les témoins, toujours (parfois de manière involontaire) et prennent souvent une place de personne de confiance. C’est-à-dire de personnes capables de tenir ensemble les « enveloppes » affective, pédagogique et professionnelle.

REF 3 : « (…) Puis, c’est un espace quand même… le cadre de l’entretien, il permet cette confidentialité donc souvent on se confie, la personne peut aussi craquer, on peut recevoir beaucoup de choses assez riches (…). »

REF 5 : « Il y en a certaines aussi qui sont jeunes. Là, on a des stagiaires, ils ont 19 ans à peine, c’est aussi cette entrée à la vie adulte. Donc il y a tout cet accompagnement. Je trouve qu’on a aussi cette responsabilité (…) qu’ils aient un espace pour dire : Oh, cest compliqué!, une autre qui a déménagé avec son copain. (…) il faut être aussi conscient de ces cycles de vie quelles vivent pour mieux les accompagner parce que, autrement, je trouve qu’on ne ferait pas bien notre travail, on peut pas juste accueillir la stagiaire parce qu’elle a ses compétences à faire. C’est quand même une personne, qui est de l’autre côté, qui a vécu, qui a tout un trajet de vie, qui a sa personnalité. »

Cela est d’autant plus vrai, disent les référent·es, avec les apprenti∙es qui sont plus jeunes en moyenne, et qui restent plus longtemps dans l’institution.

REF 5 : « Pour les apprentis, c’est quand même trois ans et puis, en trois ans, on peut bien imaginer qu’il y a plein de choses qui leur arrivent au niveau de leur vie personnelle. »

REF 3 : « (…) Moi sur quatre ans, je connaissais quand même pas mal sa vie privée, et puis, je pouvais être plus empathique et compréhensive qu’avec une stagiaire qui est là six mois (…). »

Les recherches montrent que « la convivialité est l’un des ressorts de la coopération au travail et de la préservation de la santé mentale » (Collard et Boichot, 2021, p. 169) et que ces espaces informels permettent une parole libre, l’expression des affects, la régulation des tensions mais aussi un espace de délibération important pour le travail en équipe. Etablir cet espace convivial nécessite de s’intéresser à l’autre, comme de donner aussi à voir de soi :

REF 3 : « (…) Et moi je fais aussi ce travail de dire comment je vais, comment je me sens, c’est modélisant pour les stagiaires de pouvoir parler de soi (…). Et puis c’est aussi un espace où on parle de sa vie privée, moi je parle aussi beaucoup de moi, de comment j’ai évolué dans ce métier, je fais des liens avec comment j’étais en tant que stagiaire. »

REF 5 : « Je leur dis que c’est aussi le moment pour moi de partager quelque chose avec eux qui m’appartient (…) ça fait partie de qui je suis. (…) pour permettre de créer du lien puis de leur dire qui je suis concrètement. »

Cette importance des enjeux relationnels transparaît encore dans les propos des apprenant∙es lorsqu’ils·elles évoquent des moments où ils·elles ont fait face à des difficultés. Pouvoir reprendre avec le ou la référent∙e le déroulement pour comprendre ce qui n’a pas joué et imaginer des alternatives est important pour progresser, mais dans le même temps, il faut accepter de se montrer faillible, de plus face à une personne qui a aussi pour fonction d’évaluer. Dans cette tension, la question de la confiance, du regard positif posé sur l’apprenant∙e ressort clairement.

AP 6 : « Oui, avec ma formatrice, oui, [j’ai pu reprendre] les différents éléments qui n’ont pas été. Ça a pas fonctionné, c’était pas bon, (…) le fait que peut-être lactivité était pas tout à fait adaptée à lâge des enfants comme elle était pensée (…). Du coup, voilà, j’en ai rediscuté, et puis je dirais que c’est le point positif, de pouvoir mettre sur la table… Et puis, pas de se dire : “Ah, j’ai raté, je n’ai plus confiance en moi, je n’ai plus envie de proposer d’activité.” »

AP 7 : « Si on a pas de confiance en elle, on peut pas vraiment lui dire j’ai besoin d’aide. », « Des remarques constructives plutôt que de critiquer. »

Cette dernière apprenante raconte un premier stage, effectué dans un autre contexte où sa difficulté à s’exprimer en français, qui n’est pas sa langue maternelle, était vivement blâmée par sa référente : « C’était toujours : “Non, tu parles pas bien français !”, mais elle pensait pas que je pourrais m’améliorer (…). Alors qu’ici, celle que j’ai comme formatrice, elle me dit toujours, tu dois te relâcher, c’est pas grave si tu fais des erreurs. Ça, ça a été un plus pour moi. Là, maintenant, j’ai plus de confiance en moi quand je parle. »

Ulmann (op. cit.), toujours dans le cadre de sa recherche à propos des stages du CAP petite enfance relève que, trop souvent, l’évaluation de la période de formation pratique se fait plus sur des critères de comportement (ponctualité, attitude respectueuse, compréhension des consignes, etc.) que sur le travail lui-même. Ce point n’est pas ressorti lors des entretiens que nous avons menés. Les référent∙es ont spontanément raconté qu’ils et elles jugent important que la personne puisse s’exprimer, donner son avis, dire lorsqu’elle n’est pas d’accord et prendre des ­initiatives. Ils et elles ont partagé des situations avec des apprenant∙es timides, qui n’osent pas et pour lesquel∙les ils et elles cherchent des stratégies leur permettant de s’ouvrir, comme dans l’exemple suivant :

REF 4 : « J’avais l’impression que c’était moi qui menais, qui disais : “Maintenant, on fait ça, maintenant on fait ça !” Et puis, mon apprentie était très gentille, elle disait oui. Et puis, elle ne remettait pas en question, jamais, ce que je proposais. Et du coup, j’ai envie qu’elle s’affirme un peu plus, qu’elle puisse dire ce qui lui convient ou pas. »

Si s’appuyer sur les documents formels, voire parfois les contourner, est un réel soutien pour leur travail, les référent·es ont aussi mentionné l’aide de supports spécifiques aux métiers de la relation qui permettent parfois ces ajustements avec les apprenant·es. L’utilisation des cartes Dixit, de photos de la vie quotidienne, de vignettes cliniques, de grilles d’observation ou encore l’emploi du jeu des pédagogues[6] ont été évoqués. Notamment pour faciliter le travail lors des bilans.

REF 2 : « Les bilans j’aime bien les faire avec les cartes. Les cartes dixit et, dans ta carte, tu utilises les deux côtés. Par exemple ce qui te reste à travailler jusquà la fin du stage et, en même temps, ce que tu trouves qui est acquis et le nommer. Pour que ce soit moins confrontant (…). »

REF 3 : «Jai déjà utilisé le photo-langage, ça aide quand même bien, c’était plutôt sur un moment d’évaluation, préparation du moment d’évaluation de fin de stage. »

Comme dit dans l’introduction, Ulmann (op. cit.) relève que toutes les situations professionnelles ne sont pas sources d’apprentissage et que le risque de la formation pratique, c’est que l’apprenant·e n’y soit qu’une force de travail. Par exemple, en se voyant systématiquement déléguer le sale boulot, comme les tâches ménagères.

AP 6 : « J’ai connu ça dans d’autres stages. C’était mon stage préalable où on me donnait la lessive, la vaisselle, enfin des tâches que je peux faire chez moi. »

Ce sont donc des manières de fonctionner qui existent dans certaines équipes. Tandis que dans d’autres, les apprenant∙es relèvent au contraire ne pas vivre ce type de situation.

AP 6 : « Ici c’est pas présent du tout, on ne m’utilise vraiment pas pour des tâches où les éducatrices ont pas le temps, comme ranger le petit déjeuner par exemple ou des choses comme ça. »

AP 7 relève qu’en fait, elle réalise certaines tâches domestiques, comme préparer la salle de sieste, mais en s’insérant dans le tournus de l’équipe, un jour par semaine. Si elle n’y voit pas forcément une source d’apprentissage, elle estime que cela ne la dérange pas, que c’est une aide. AP 5 ajoute qu’ « après, ça fait aussi partie du métier (…) un petit peu, oui, mais pas nous “utiliser”, je trouve que c’est le bon terme ». Il ressort de ses paroles que ce type de tâche ne doit pas être vu uniquement à travers la question de l’apprentissage, mais peut entrer dans la balance du don et du contre-don entre l’apprenant∙e et l’équipe, et qu’il est une façon de s’intégrer dans celle-ci, d’entrer dans le collectif.

Le chemin peut parfois se montrer escarpé

Mezzena (2011, p. 42) souligne combien être stagiaire est « un entre-deux inconfortable » dans le sens où « l’expérience de la formation pratique consiste à se confronter à l’imperfection de son action et cette expérience implique souvent pour les étudiants un inconfort ».

Et il faut le dire et le redire : travailler avec des personnes ne pose pas les mêmes difficultés que travailler avec des machines. Par exemple, on ne peut pas mettre un enfant sur pause et réfléchir à comment continuer notre action. Pareillement, les conséquences ne seront pas similaires si on laisse tomber un bébé ou une boîte d’œufs, voire une palette d’œufs. De même, on ne peut s’exercer sans fin avec un enfant pour maîtriser une technique. Rien de nouveau sous le soleil.

Transmettre le métier quand l’objet du travail est une personne, en l’occurrence ici un groupe d’enfants, est donc complexe, car se bousculent dans le même mouvement, nous l’aurons compris, des comportements divers, des interactions multiples, des croyances et des valeurs variées. Il y a une permanente asymétrie entre les protagonistes, et l’environnement est mouvant.

La formation sur le terrain à la profession d’éducs ne va pas de soi pour ceux et celles qui la transmettent. Il a déjà été dit qu’il ne suffit pas de baigner le·la stagiaire dans ce collectif bouillonnant pour qu’apprentissage se fasse. Il ne suffit pas non plus d’avoir reçu un bagage théorique à l’école, ou encore d’avoir balisé en amont le déroulement d’une activité pendant les entretiens référent·e / stagiaire pour que tout se passe bien.

C’est en questionnant la place de l’erreur dans le processus d’apprentissage que notre envie de s’arrêter sur certaines difficultés rencontrées par les référent·es et par les apprenant·es a émergé.

Toutes et tous étaient d’accord de dire que l’erreur avait une place importante pour l’évolution du stage. Reste à savoir quand, comment, pour quoi on la traite ?

S’approprier le chemin petit à petit

Etre en stage et partir du concret est très prisé chez les apprenant·es. Se coltiner aux vraies situations, aux vrais enfants est valorisant.

D’ailleurs, les apprenant·es nomment bien comment avoir la responsabilité d’un enfant ou d’un groupe d’enfants pendant une activité ou sur une journée est important pour progresser.

AP 1 : «Par exemple chez les bébés je dirais que, au bout d’un moment, c’est d’être responsable des enfants. Au début, on ne peut pas prendre en charge des enfants, on accompagne, et puis au bout d’un moment, on nous dit : “Tu peux prendre trois enfants et c’est toi qui vas t’occuper d’eux pendant la journée”. Et puis c’est ça qui est valorisant, qui nous permet de se responsabiliser. Ça nous apprend le métier parce qu’on sait qu’on est responsable de ces enfants et puis, on doit savoir si ils ont mangé, si ils ont dormi, si ils ont été changés, donc, pour moi, c’est ce genre de situations qui permettent d’apprendre. »

AP 2 : « (…) Aussi de connaître l’enfant dans ses besoins quand justement après on les prend en charge de dire : “Ok, eh bien moi je sais que cet enfant à telle heure il va se passer ça.” De savoir comment il est et vraiment de pouvoir faire un accompagnement individuel. Et c’est vrai que, quand on est seule, on a tout de suite une autre posture dans la tête. Et c’est aussi super intéressant quand on est seule, de voir comment on est, si on a du stress, et voilà quoi, de gérer tout ça. »

AP 5 : « Les retours aux parents, au début, je n’en faisais pas. Après, j’ai commencé à en faire juste avec les enfants que j’avais eus sur la journée, deux ou trois en fait. Puis, à force d’exercer, maintenant je peux le faire avec tous les parents et je pense que ça permet aussi de connaître un peu plus les parents. Il y a la progression, puis aussi le fait de faire seul. »

Partir du concret pour apprendre ne date pas d’aujourd’hui. Learning by doing (apprendre en faisant) est régulièrement cité. En 1994, Malglaive disait déjà ceci : « (…) Puisque le travail implique aujourd’hui le raisonnement, pourquoi, en effet, ne pas apprendre à raisonner à partir des situations de travail ? Partir du concret. » Quelques lignes plus loin cependant il ajoutait : « La véritable difficulté rarement résolue, n’est pas de partir du concret. Elle est de ne pas y rester. »

Quelle place pour trébucher en chemin ?

A partir d’une question autour de l’erreur, les différent·es apprenant·es interviewé·es amorcent déjà cette mise au travail qu’il y a à effectuer pour avancer, progresser. Voici quelques extraits de leurs propos :

AP 2 : «Pour moi, je vois deux erreurs différentes, il y a l’erreur au niveau physique ou des gestes, plutôt dans le sens… si on oublie de fermer un lit ou si on oublie de donner un biberon, voilà, un peu des erreurs comme ça, pour moi ce sont des erreurs qui engendrent un peu un stress parce que, du coup, l’équipe qu’est-ce qu’elle va penser, et puis pour moi, ce sera surtout que cela va endommager la confiance. Puis aussi de dire que tu es peut-être pas capable de t’occuper de ça et on va peut-être diminuer tes responsabilités (…) et puis après, l’erreur positive pour moi c’est l’erreur de raisonnement, de comment on pense, ou encore le partage des situations sur ce qu’on fait, par exemple coucher cet enfant à telle heure et puis, finalement, ce n’est pas la bonne idée. Pour moi, cela c’est positif parce qu’on peut partager avec la collègue, (…) aussi se questionner : pourquoi tu as pensé comme ça, moi j’ai pensé comme ça et puis pouvoir trouver en fait une résolution (…) pouvoir élargir le raisonnement et puis, c’est surtout positif parce qu’on se remet en question (…). »

L’extrait ci-dessus illustre bien de manière intuitive ce que dit Mezzena (ibid.) dans son article : « Si la maladresse ou même l’échec peut parfois habiter l’action d’un professionnel chevronné, un tel événement prend une tout autre dimension pour un stagiaire. De par son statut, l’étudiant en formation pratique n’est pas encore considéré comme un “vrai professionnel” et cette caractérisation offre l’avantage de pouvoir progresser dans un espace protégé en bénéficiant du droit à l’erreur. Mais il est tout de même attendu des étudiants une certaine performance et la difficulté consiste justement à bien saisir jusqu’à quelles limites peut aller le droit à l’erreur. »

AP 1 : « Et puis sinon, c’est en faisant des erreurs que j’apprenais énormément et puis qu’on me le fasse surtout remarquer, enfin je préfère qu’on me le dise quand quelque chose ne va pas, quand je dois améliorer quelque chose parce que c’est ce qui permet aussi de pouvoir avancer. »

«Pour moi, quand on est stagiaires et quon nous fait des remarques pour saméliorer, pour moi, ce nest pas des erreurs; ça ne doit pas être pensé comme une erreur. On ne peut pas le prendre comme ça parce quon est justementstagiaires, on est en train d’apprendre, on va de toute façon passer par là. On attend des autres éducateurs·trices formé·es de nous faire savoir ce qu’on doit améliorer ou si on ne devait pas agir comme ça mais, pour moi, ce n’est pas une erreur. »

AP 4 : « Je me rappelle dans mes autres stages où j’avais eu des informations et pour une raison X, j’avais oublié de la transmettre (…). Cela avait engendré des problèmes. Ce n’était pas la fin du monde, mais on m’avait reprise et ça m’avait touchée, grâce à cette erreur eh bien maintenant, je me dis ok à chaque information, même si j’ai l’impression que ce n’est pas le plus important, je la note, on ne sait jamais, je préfère noter des choses plus qu’oublier des choses et puis que, après, on me le reproche. Les erreurs, ouais c’est comme ça que j’apprends le mieux. »

AP 5 : « Moi, je devais changer la couche d’un enfant, (…) et tout à coup, il y a un autre enfant qui me parlait et en fait, je me suis tourné et donc l’enfant, il était seul. Enfin, il était seul en haut, mais il était couché. Puis justement, ma collègue, elle m’a dit que je ne fais pas attention parce qu’il peut tomber, se faire super mal, etc. Et, maintenant, je comprends qu’elle était un peu énervée, parce qu’elle avait peur (…) mais justement maintenant, quand je change un enfant, je reste vers lui ou en tout cas, si je parle à un autre je fais attention à l’enfant que je change puis après, je me mets comme ça (mime sa position) (…) toujours le corps vers lenfant quoi. Parce que sil tombe et que je puisse pas réagir (…) Cest ce quon ma dit et jai pu en reparler après, avec ma formatrice et on en a parlé en colloque aussi. Et maintenant, je fais plus ça, justement, on a pu rebondir sur la situation (…), avant, je n’avais pas pris conscience du danger en fait. Je trouve bien souvent que c’est formateur. »

S’égarer, puis lire et comprendre ensemble la carte

L’erreur, comme source de discussion et de débat sur le métier, est très appréciée. Avec une préférence pour que ce soit un vrai débat sur les manières de faire de l’équipe et non une « fausse » discussion sous couvert de manières standardisées de faire. Les stagiaires attendent des apports autant théoriques que pratiques de la part des référent·es, et que ces connaissances, construites à partir de l’action, soient le tremplin pour de nouveaux savoirs, de nouvelles acquisitions. Le moment des entretiens est propice à ce travail de réélaboration pour autant que ces derniers soient nourris.

AP 1 : « Et puis par rapport à mes entretiens que j’avais avec mes formatrices, des formatrices différentes et ce qui me permet le plus d’avancer pendant ces entretiens, c’est que ma formatrice, elle soit assez exigeante, même si c’est dur par exemple, quand j’avais mes entretiens avec X, elle était hyperexigeante, elle veut vraiment que le travail soit bien fait (…). »

AP 3 : « (…) Chaque semaine je devais amener une situation et je vois aussi que cette année en lien avec les compétences, il faut nommer les théories et elle me fait aller voir mon cours de psychologie. »

Il arrive malheureusement que ce travail ne soit pas fait et c’est très inquiétant. Quelle qu’en soit la raison : réduction des stagiaires à leur seule force de travail pour donner un coup de main ou pour pallier le manque de personnel, manque de temps ou d’argent pour effectuer le travail, paresse formative… que signifie « former sur le tas » sans interactions de formation ?

AP 4 : «Javais fait un stage dans une autre crèche où moi jétais plutôt dans loptique que, quand un enfant tombe et que ce n’est pas parce que quelqu’un d’autre l’a poussé, mais que c’est lui qui a trébuché et qu’il commence à pleurer, qu’on n’aille pas directement vers lui, mais qu’on lui parle: Tu es tombé, t’as vraiment mal est-ce que tu peux te relever ?” Les collègues trouvaient que je devais directement intervenir alors que je voyais les choses autrement. »

On lui reproche de ne pas aider l’enfant, de ne pas être assez empathique, de ne pas vite aller le réconforter, alors qu’elle a une autre compréhension de la situation, mais cela n’est pas questionné.

AP2 : «Je rejoins AP 4, quand on est stagiaire il ny a pas vraiment cette place à cette identité professionnelle quon construit, on doit vraiment correspondre à lattente de léquipe ou de la référente et il ny a pas vraiment cette place de dire: “Ah bon ben ok, si c’est ta méthode, ben vas-y, pourquoi pas”. Ce sera tout de suite fait ainsi et puis on va vouloir qu’on nous “clone” entre guillemets. »

Il est inquiétant d’imaginer qu’une succession d’imitations parcellisées finiraient par former l’apprenant·e. Concevoir la formation uniquement comme l’imitation d’un modèle empêche une nécessaire élaboration.

Se retrouver parfois isolé·e sur le chemin

AP 1 : « Je trouve que, ici, on a un suivi hyper régulier, moi par exemple, quand j’ai fait mon stage dans l’EMS, je n’ai jamais eu de suivi de stage concret où je me suis posée dans une salle avec la formatrice, c’est impossible ça car il y a qu’une ASE qui doit s’occuper des personnes âgées, pis il n’y a pas d’autres qui peuvent prendre du temps avec l’apprentie pour faire les analyses de séquences, les projets, alors ça, ça n’existe pas du tout, alors je n’ai jamais eu d’entretiens, je devais faire toute seule de mon côté et puis, on regardait vite fait en cinq minutes si ça jouait ou pas. »

Il s’agit plutôt de se poser la question de qu’est-ce qui se joue dans de tels lieux ? Où est la visée formative ?

La panoplie du parfait randonneur

Cependant, dans les institutions où ce travail formatif se fait, nous pensons que les référent·es sont régulièrement confronté·es à ce problème, à savoir, comment dépasser les évidences, les convenances, les lieux communs, les habitudes ou les habitus. Comment penser les situations vécues ou amenées, les malaxer, les utiliser pour construire un bout de savoir ou un bout de savoir en plus ? C’est une première difficulté.

Malglaive (ibid., pp. 132-133) apporte quelques pistes : « C’est par la cognition que les savoirs de toutes sortes (pratiques et théoriques) s’investissent dans l’action pour constituer le “savoir en usage”. Ce savoir en usage inclut les savoirs formalisés tels que les proposent les disciplines scolaires, qui ne deviennent toutefois savoir en usage qu’à la condition d’être investies dans l’action. (…) Mais de même que le savoir formalisé doit se confronter à la pratique, le savoir pratique doit se formaliser. (…) Apprendre, que ce soit à la faveur de l’expérience ou à la faveur d’un enseignement réglé, consiste donc en un cycle récursif fait de deux moments articulés : le moment du faire, où le savoir s’investit dans les activités ; le moment du savoir, où ce qui est déjà connu dans la pratique se réélabore à un niveau supérieur de formalisation. »

Ce travail d’aide à la réélaboration est ardu et d’autant plus difficile qu’il faut souvent en même temps s’occuper des enfants et de la personne en formation. Les référent·es doivent maîtriser différents aspects pour mener à bien leur fonction : il faut comprendre rapidement le problème, le poser, repérer les conséquences des interventions et, à ce titre, ils·elles doivent avoir de bonnes connaissances disciplinaires en lien avec le métier. Mais les référent·es ont intérêt à également posséder une solide culture générale. Malglaive (ibid., p. 129) le justifie ainsi : « La culture générale, c’est ce qui permet de dépasser le contexte immédiat du problème posé, de l’élargir à l’ensemble de ses antécédents et à l’ensemble des conséquences, ce qui permet surtout de voir “les choses autrement que ce qu’elles sont”, d’envisager l’ensemble des possibles sans s’arrêter aux stéréotypes liés à l’expérience et aux habitudes. »

A partir des entretiens menés, voilà quelques aperçus de la tentative de réaliser ce cycle récursif en entretien. Les référent·es et les apprenant·es expriment bien la difficulté de l’exercice : tirer parti de l’imprévu, lui ménager une place et, dans la foulée, saisir l’opportunité formative ainsi ouverte ; dans le cours de l’activité et / ou dans l’après-coup.

L’apprenante mène une activité peinture pour la seconde fois avec un matériel spécifique. La première fois, l’exercice n’était pas adapté à l’âge des enfants, ils n’ont pas « croché ». Cette deuxième fois se passe mieux, les enfants montrent un certain intérêt et l’un d’entre eux lance même une idée en laissant des traces avec un objet sur le mélange de couleurs. L’apprenante coupe court à cette expérimentation en argumentant que tout le monde va vouloir cet objet et que ça va devenir trop compliqué.

REF 2. : « (…) Elle m’avait dit : “Ne m’interromps pas.” A part si elle, elle venait m’appeler. J’étais en retrait j’écrivais, je me suis dit : “Je vais aussi respecter son choix.” J’ai vraiment hésité et puis en entretien j’ai questionné : qu’est-ce qui fait que tu n’as pas rebondi là-dessus ? De partir du truc de l’enfant ? Là, je me suis retrouvée avec le : je sais pas, j’ai pensé que ça allait amener plus de complication. Après, c’est comment faire pour élargir un peu le regard : “Mais utilise tout ce que tu as autour de toi, les voitures, une fourchette, tu vas vite à la cuisine ou tu me dis : va vite à la cuisine.” Et puis, là c’est son bout, cela lui fait prendre conscience qu’il y a des possibles et comment elle peut s’ouvrir et pas avoir le nez dans le guidon et puis, après un bout, eh bien, c’est par l’expérience et qu’en se trompant elle va apprendre… »

«Et puis après en fonction des situations quelle amène et les choses qui reviennent très régulièrement, on fait avec les articles pour prendre un peu de distance et puis quand même, ce que j’entends souvent c’est : “Ben je comprends pas, mais c’est normal, c’est pas normal ?” (Elle prend l’exemple d’un enfant qui mord) : Je donne le podcast sur les morsures, pour partager. C’est une manière aussi d’élargir la réflexion de montrer que d’autres personnes que moi, que l’institution, que d’autres auteurs qui ont étudié ce problème pour dire que oui ça fait partie du développement normal. Après cela peut ne plus être normal, si ça perdure trop, mais en l’occurrence avec X c’est normal… »

Les référent·es utilisent différentes approches pour tenter d’amorcer cette boucle récursive nommée plus haut : idées de supports à l’expression, d’amorces, de zoom sur un des aspects professionnels qu’elles souhaitent mettre en lumière.

Par exemple : observer et analyser sont des gestes, des temps et des « curiosités » distincts, que l’on fait à des moments différents, seul·e ou en interaction, avec des fondements ou des références pour juger spécifiques et que l’on doit pouvoir nommer.

REF 3 : «Je voyais que, pour elle, ce n’était pas évident de se mettre en avant et de s’auto-évaluer et, du coup, j’ai utilisé un photo-langage, des photos très variées en lui proposant de choisir deux photos et que, moi, je faisais aussi l’exercice… (…) C’est vrai que sinon, c’était pas quelque chose qui lui était facile, la prise de parole et de s’auto-évaluer et dire ses qualités, (…). »

« Ça m’est déjà arrivé d’utiliser un canevas d’observation, une grille où je propose à la stagiaire de semaine en semaine d’écrire ses observations et sa compréhension de la situation pour l’amener à l’entretien.

(…) après, dans les outils de formation d’adultes, je dirais plus cette pratique d’aller reformuler et d’aller proposer à la stagiaire : “Alors si je comprends bien, à ce moment-là il se passe ça, qu’est-ce que, pour toi, ça évoque ? »

REF 5 : « Je lui avais demandé de décrire des petits moments d’observation. Pour lui montrer que, quand on observe, il faut distinguer l’observation de l’analyse. Mais voilà, je cadre un peu, c’est-à-dire que je pose des questions sur une feuille. Je demande d’écrire dans cette situation, qu’est-ce que l’enfant a fait, quelle a été ta réaction, quelle a été la réaction de l’enfant ? (…) Je lui demande d’être assez précise dans ce qu’elle observe. Par exemple, si c’est l’accueil d’un enfant, dans la situation, elle va avoir l’enfant, le parent, peut-être le frère et la sœur qui est là aussi, alors je lui demande de se centrer sur une personne, l’enfant ou le parent parce que sinon, il y a trop, puis du coup, elle arrive pas à noter et on perd de la substance. Je trouve qu’il y a une progression. En fait, elle arrive de mieux en mieux à comprendre, à différencier ce qui est l’analyse et ce qui est l’observation. Après, on est quand même au début de ce processus. »

Les compères – Collectif CrrC
Le maître des horloges – Collectif CrrC

En chemin, certains périls nécessitent une intervention immédiate

Les référent·es composent aussi avec l’erreur et elle est fructueuse pour alimenter les entretiens, mais il reste une difficulté majeure avec laquelle les un·es et les autres sont plus ou moins à l’aise : l’intervention « en live ».

Nous avons repéré au moins deux cas de figure concernant ces interventions « à chaud ».

Le Kaïros[7] dans l’intervention

Repérer le bon moment pour intervenir, comme trouver les bons mots pour ne pas froisser la personne ou la décrédibiliser demande tact et considération. Si dans certains cas, les référent·es laissent aller et considèrent même que cela va être instructif pour les stagiaires de patauger un peu, d’autres fois il n’est pas question de laisser faire. La sécurité affective et physique des enfants sont des intouchables.

Certains fondements doivent être nommés et, parmi ceux-ci, il y a sans doute des évidences pédagogiques comme : « Les enfants ça respire et au travail on travaille ! »

REF 1 : « (…) Je suis en nurserie et elle mouche un enfant, non elle veut le laver et elle le prend par derrière et : (geste de balayer la bouche avec une lingette assez fort). Je lui dis : “Attends, donne-moi la lingette” et je lui dis : “Regarde si je fais un doigt dans la lingette et que je fais comme ça : (geste délicat de passer autour de la bouche), regarde, il peut respirer. Qu’est-ce que tu penses ?” “Ah ouais, c’est vrai faut qu’il respire”. »

REF 3 : « Je suis toujours sur le qui-vive de savoir est-ce qu’elle va être adéquate avec les enfants, est-ce que je vais devoir la reprendre parce que, en effet, reprendre la personne sur le terrain, c’est quelque chose qui m’est hyper désagréable et je n’aimerais pas devoir le faire quoi, déjà quelle légitimité on lui donne devant les enfants ?(…) »

«Quand la stagiaire sendormait à moitié sur le groupe, jutilisais beaucoup lhumour, je disais aux enfants: “Bon peut-être on va aller réveiller Y et on va partir en promenade”. »

Lire les gestes des enfants, repérer les retraits, les craintes, les peurs et faire usage de ces observations pour aller vers une analyse, est un des classiques toujours à faire (re)travailler.

REF 2 : « C’est surtout dans les moments où cela touche à la sécurité affective, physique c’est plus rare, (…). Il y a eu un moment au tout début pendant la sieste où un enfant qui vraiment par son corps et… qui vraiment reculait et là, j’ai coupé. C’est dans ces moments-là où vraiment l’enfant montre, essaie par lui-même de montrer et puis que l’étudiante ne comprend pas, et parce que ça me touche. Cela est aussi arrivé lors d’un change où un enfant disait : non, non, non, et là c’était physique, la stagiaire l’avait un peu tiré par le bras et là j’avais dit : “Non non, c’est moi qui fais”. Et là j’avais de nouveau réexpliqué : “C’est trop tôt, c’est trop vite, là il te montre qu’il n’est pas d’accord.” »

REF 5 : « C’est la limite, quand on n’est plus dans une prise en charge où l’enfant est en sécurité au niveau affectif. Souvent, c’est là que ça se joue parce qu’au niveau sécurité physique, j’ai l’impression qu’elles sont plus à l’aise. J’ai pas l’impression d’avoir vécu des situations au niveau physique, [où] elle l’a laissé… je sais pas… lâcher la main ou un truc comme ça (…) les interventions que j’ai eu à faire, c’était plutôt au niveau de l’affectif, c’était le lien, ou le cadre qui allait trop loin. L’enfant, tu vois qu’il est perdu, qu’il n’arrive pas à avoir ce dont il a besoin en face. »

Il s’agit aussi de repérer le moment où c’est l’apprenant·e qui est en difficulté :

REF 5 « C’est un enfant, il est tombé par exemple, est-ce que c’est elle qui va s’en occuper ou pas ? C’est vraiment d’être attentif, poser la question : “Est-ce que tu veux que je t’accompagne ? Tu veux aller jusqu’au bout ou tu veux que je prenne ?” Ça m’est arrivé des fois où je laissais parce que j’avais vu dans d’autres situations que ça allait, puis, la personne ce jour-là, elle est plus fatiguée, elle te demande de l’aide et tu comprends pas forcément pourquoi tout de suite. »

Nous voyons bien comment ce sont de nombreux niveaux d’attention portés en même temps et sur des focales différentes.

Le bon moment, c’est aussi reprendre les erreurs dans un temps et un espace qui permettent d’en faire des opportunités d’apprentissage. En cours d’action, donc devant et avec les enfants dans le flux émotionnel de chacun·e, ce n’est pas toujours le moment propice :

REF 5 : « Je leur dis sur le moment que, après, on reprend en entretien, donc déjà ça donne le temps de souffler un peu, de prendre un peu de recul, (…) forcément, quand il y a un problème, il y a des émotions qui viennent. Et puis, tu prends de la distance, déjà toi-même, tu as vu quelque chose qui t’a dérangé, tes propres émotions : ça m’a agacé, mis en colère, (…) se dire : “Oh mon Dieu, elle est à côté de ses pompes !”, des trucs comme ça. (…) Je trouve que c’est bien d’avoir un peu de distance entre la situation et quand on en discute. Alors on reprend la situation : comment est-ce que tu l’as vécu ? Voilà pourquoi je suis intervenue (…) puis c’est dans l’échange (…) la prochaine fois qu’est-ce que tu pourrais faire ? (…) sur le moment des fois, t’as juste envie de dire : “Ça va pas !” T’as tes propres jugements aussi, donc il faut les canaliser. »

REF 3 : « (…) Mais je pense que, d’une manière plus générale, je laisse faire et après, je reprends en entretien. Ou sur le moment après s’il y a un moment opportun pour reparler mais c’est vrai que… je ne crois pas que j’aime intervenir sur le moment présent à moins que je voie que l’intégrité de l’enfant est touchée. Il y a quelque chose qui me met mal à l’aise de couper quelqu’un dans son travail. »

Le souci permanent de la dimension collective du travail

La difficulté de faire son travail (être éduc avec un groupe d’enfants) et, en même temps, être garant·e de la formation d’un·e novice se complexifient quand les priorités « collisionnent » et entrent en conflit.

S’intéressant à la coordination et à la coopération tuteur / stagiaire dans un autre domaine (le soin), Rémery et Filliettaz (2017, pp. 25-26) mentionnent : « Le binôme[8] doit non seulement agir avec les contraintes matérielles de l’environnement mais également avec le patient[9]. En tant que coparticipant, la présence de ce dernier impacte ce qui, du travail et de la formation est rendu visible par le binôme. En effet, la présence et la participation du patient à l’activité de travail ont des conséquences sur la façon dont le travail d’équipe tuteur / stagiaire est organisé et produit dans l’interaction. »

Dans les séquences décrites ci-dessous, ce n’est pas la sécurité affective ou physique qui est mise à mal, mais le « vécu collectif », l’évolution de la dynamique (en possible dégradation) ou encore les possibilités de progrès de certains enfants qui seraient entravées.

REF 3 : «Au début du stage, moi je suis plus à l’aise en entretien, pour découvrir la personne, que sur le terrain où moi je dois faire mon boulot et en même temps l’accueillir, pis des fois je sens que ça perturbe les enfants. »

«Il y a ce fait aussi de bosser pas comme une machine mais dêtre dans le quotidien et de faire des choses que jai lhabitude de faire et dêtre dans le moment présent et, du coup, ça me demande un effort de me décentrer pour me dire : Ah il faut que je lui explique ça, il faut …” et ça me coupe un peu du lien avec l’enfant sur le moment présent ou dans l’animation, quand on fait un moment collectif. »

« J’interviendrais par exemple si ça rend la dynamique trop difficile et que je dois porter les conséquences… »

Un exemple emblématique concerne un enfant lors d’une activité peinture. Le choix de faire deux groupes avec les enfants concernés s’est vite révélé inadéquat.

REF 6 : « Nous n’avions que six enfants (quatre grands et deux petits) et l’apprenante aurait aimé que j’observe comment elle s’y prenait avec trois des enfants. Ce que j’ai fait pendant le début de la mise en place, puis les deux petits, emmenés par le plaisir des plus grands, voulaient absolument peindre aussi. Un des deux avait toujours refusé de participer à ces ateliers peinture et là… il montrait une grande envie de faire l’activité. Saisir le désir de cet enfant et voir s’il empoignait le pinceau m’a paru plus important que l’observation de la stagiaire. »

La référente reste, ou redevient une professionnelle en activité, avec et pour les groupes d’enfants. Son statut de référente lui a sans doute permis de voir de manière plus perspicace parce qu’un peu extérieure, les besoins exprimés. Une fois encore, si elle tient ses deux rôles en même temps, elle doit parfois prioriser l’un au détriment de l’autre.

Pour conclure

Etre référent·e requiert de nombreux savoirs et des connaissances, certes, mais articulés. Etre bon sur le terrain (faire face avec brio à « presque » toutes les situations) ne dit rien cependant des capacités à transmettre le métier. Les plus érudit·es ne sont pas non plus les plus « armé·es » pour accompagner l’apprentissage de néophytes.

La fonction nécessite un bon bagage de « savoir-faire » (techniques, relationnels, une vision claire de ce qui se joue en situation pour tous les acteurs·trices) avec en plus la faculté d’en faire part au moment adéquat. Ce travail déjà conséquent doit être conjugué à la capacité de nourrir intellectuellement les entretiens et la pratique en général (ayant pour base de discussion les situations vues, vécues ou rapportées). Dans les entretiens, cette dernière partie reste plus implicite. Le terreau relationnel a été bien mis en exergue, le terreau réflexif est moins investi.

Ce travail demande de s’ajuster autant à la personnalité de l’apprenant∙e qu’à ses savoirs : s’adapter à qui elle est, à comment elle apprend, mais aussi être capable « d’évaluer son niveau de savoir » et d’entrevoir ce qu’elle serait (sera ?) capable d’apprendre. Et ce dans le cours de l’action comme dans l’après-coup, dans la réflexion et dans une coélaboration.

Il faut donc savoir jouer sur beaucoup de tableaux.

Ces extraits « tronqués » sur les places de chacun·e précisent encore les enjeux autour de ce travail :

Si les apprenant·es doivent « se faire une place » et être « capables de trouver leur place », les référent·es ne doivent « pas faire à la place de ». Il faut alors savoir « laisser la place de faire sa place » ou même des fois les « remettre à leur place ». Dans le rapport pédagogique, cette question de la place est importante et l’on passe souvent de l’un à l’autre, car ce sont à chaque fois des compromis.

Les référent·es portent la responsabilité d’être exigeant·es par rapport au métier comme par rapport aux modalités et aux temporalités de la formation au métier.

Michelle Fracheboud
et Karina Kühni

Bibliographie

Collard, Damien et Boichot, Rachel (2021), « Encourager la délibération sur le travail pour prévenir les violences physiques. Une approche par la psychodynamique du travail. », Travailler N° 46, pp. 165-189.

Fillietaz, Laurent et Zogmal, Marianne (dir.), (2020), Mobiliser et développer des compétences interactionnelles en situation de travail éducatif, Octares, Toulouse.

Mezzena, Sylvie (2011 / 1), « L’expérience du stagiaire en travail social : le point de vue situé de l’activité » in : Pensée plurielle N° 26, pp. 37-51.

Malglaive, Gérard (1994), « Les rapports entre savoir et pratique dans le développement des capacités d’apprentissage chez les adultes » in : Education Permanente N° 119.

Rémery, Vanessa et Filliettaz, Laurent (2017), « Coordination et coopération tuteur / stagiaire dans les pratiques de soin » in : Recherche et Formation. Interactions tutorales et apprentissages en situations de travail (Vol. 2).

Sadock, Virginie (2003), « L’enjolivement de la réalité, une défense féminine ? Etude auprès des auxiliaires puéricultrices ». Travailler, N° 10, pp. 96-106.

Ulmann, Anne-Lise (2018), « Les apprentis, au cœur de “l’introuvable relation” formateur-tuteur. », Formation emploi, N° 141, pp. 11-26.

[1]-Houssaye, Jean (dir.) (1993), La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF, Paris.

[2]-Les personnes intéressées à aller plus loin pourront se référer utilement à l’ouvrage de Marianne Zogmal et Laurent Fillietaz (2020), Mobiliser et développer des compétences interactionnelles en situation de travail éducatif, Octares, Toulouse, auquel cette introduction doit beaucoup.

[3]-Sur cette question de genre et de style, voir par exemple Kühni, Karina (2011), « Le jugement du travail et la coopération », Revue [petite] enfance N° 105, pp. 74-82.

[4]-Différents termes sont employés pour désigner les personnes assurant le suivi et le soutien des personnes pour la formation pratique (formateur en entreprise, formateur à la pratique professionnelle ou encore praticien-formateur). Ces termes sont notamment liés au niveau de formation de la personne accompagnée, c’est pourquoi nous avons choisi ici le terme générique de référent·e professionnel·le (REF).

[5]-Nous avons réalisé des entretiens avec six professionnel∙les, certain·es ont suivi une formation pour accompagner les apprenant·es et d’autres pas, certain·es ont une longue pratique et d’autres débutent dans cette tâche. Par ailleurs, nous avons rencontré huit apprenant∙es (AP) de deux grandes institutions lausannoises pour deux entretiens collectifs. Nous remercions toutes ces personnes pour leur participation. Face aux nombreux thèmes évoqués, nous avons dû faire un choix. Nous n’avons rien dit du rôle de l’équipe, ni traité de la question des suivis plus difficiles ou encore de l’articulation entre l’école et le lieu de formation par exemple. Mais peut-être que cet article donnera l’envie et l’élan à d’autres professionnel·les pour poursuivre le propos.

[6]-Moussy, Bernadette ; Lepage-Champion, Agnès, Educare-Découvrir les grands pédagogues, Chronique Sociale, Lyon.

[7]-Kaïros : « (…) A avec idée de temps : 1) moment convenable ou opportun, temps favorable, occasion (…) B : avec idée de lieu : endroit convenable (…) » tiré de : Bailly, Anatole, (1950) Dictionnaire Grec / Français, Hachette, Paris, pp. 1000,1001.

[8]-Pour les éducs : Référent·e-Apprenant·e.

[9]-Ici un groupe d’enfants.

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