Participation des plus petits : une pédagogie du quotidien

Introduction

L’article qui suit est une micro-ethnographie d’actes diffusés au quotidien par des professionnel·les de l’enfance pour favoriser la participation des tout-petits à différents niveaux. Nous y découvrons « l’infiniment petit du partenariat incarné et situé »[1].

C’est par leur répétition journalière, leur variété, leur articulation avec une conception du bon travail partagé entre quelques-unes que les actions à teneur participative des éducateurs et des éducatrices ont un effet : elles sont complètement intégrées dans l’organisation ordinaire des journées et dans les modalités relationnelles établies.

Ce que nous présentons n’est donc pas un programme pionnier visant la participation, ce n’est pas un dispositif innovant : c’est juste un ingrédient pleinement intégré et diffusé dans une pédagogie. C’est quelque chose que nous ne voyons pas forcément, qui ne s’expose pas et qui existe pourtant.

Nous pouvons en déduire qu’il y a une « science du métier » qui se constitue dans l’action. Binet résume cela en affirmant qu’« entre les politiques publiques et leurs applications, s’interposent des communautés professionnelles en charge de leurs mises en œuvre, dotées de méthodes, de savoirs et de valeurs » (Binet et al., p. 171)[2]. Notre propos met en lumière ces méthodes, ces savoirs et ces valeurs qui s’actualisent au quotidien dans l’activité de professionnel·les, et qui développent la participation des tout-petits hors de tout programme labellisé. 

De manière certes un peu provocante, nous pourrions dire que, pendant que certain·es inventent et théorisent des dispositifs ­participatifs ­inapplicables et surplombants, des professionnel·les réalisent déjà sous nos yeux ce que nous cherchons à faire.

La question de la participation des enfants ne date pas d’aujourd’hui, ni même de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) de 1989. Plusieurs auteur·es ont déjà abordé cette thématique dans leur réflexion comme dans leur pratique : Freinet, Montessori, Steiner, Pestalozzi, Korczak, Dewey, pour n’en citer que quelques-un·es.

Ce qui a changé peut-être, c’est que la participation est devenue un incontournable, comme un produit dont on ne pourrait se passer. Elle fait « vendeur » et, comme par magie, elle garantirait une certaine qualité[3].

Breviglieri (2014, p. 98), s’interrogeant sur l’exposition des enfants à la vie publique, dénonce le libéralisme politique dans lequel on les propulse : « Dans un tel état, l’enfant est censé participer à un espace public imprégné de libéralisme politique où peuvent s’exprimer ses opinions, ses goûts ou ses satisfactions individuelles. (…) Cet élargissement participatif (…) véhicule des perspectives normatives en faisant peser des attentes et en valorisant des registres particuliers de la puissance d’agir ».[4] Il nous met en garde contre cette « (…) grammaire politique libérale porteuse d’une exigence d’autonomie qui se fait aussi autocontrainte » (ibid.).

Il est donc important de se questionner sur la notion pour en saisir les travers potentiels. De quelle participation parlons-nous ? Pour qui ? Pour quoi ? Quand ? Comment ?

Dans cet article, nous ne nous intéresserons pas aux « grands dispositifs participatifs », aux débats publics censés certifier d’une démocratie, mais aux « petites participations » journalières de tout ordre qui jalonnent le quotidien des éducs et des enfants. En postulant que ces petites gouttes participatives sont déjà les prémisses et également, nous l’espérons, les conditions d’un vivre ensemble meilleur. Dans le sens où, comme le dit Louviot (2019, p. 3)[5], « l’éducation a ainsi pour but non seulement le développement de l’individu pour lui-même, mais également celui de son rapport et de sa place dans un espace plus global qui en fait un être humain et social ».

Nous sommes également d’accord d’avancer avec Guinchard Hayward, Ràkòczy, Despond Theurillat (2014, p. 193)[6] que la participation de l’enfant « (…) se construit dès les premiers instants de vie. Les fondements qui permettent à l’enfant de sentir son influence et son sentiment d’exister se trouvent déjà dans la réciprocité des premières interactions qu’il vit en tant que nourrisson. »

Nous réinterrogerons les différentes participations « moissonnées » lors de nos entretiens à la lumière de propos d’auteur·es qui se sont penché·es sur la question.

Quatre éducatrices (une du groupe des bébés, une des trotteurs et deux des moyens) se sont prêtées au « jeu » des Savoirs des couloirs[7].

Petit répertoire incomplet de participations quotidiennes

Quelques domaines participatifs retenus :

  • Le moment des repas (souvent cité en premier).
  • Le moment de la sieste.
  • Le moment des rangements.
  • Le moment des soins.
  • Les moments d’entraide et / ou de réparation.

Alors, participer à quoi, au nom de quoi ?

Participer, c’est prendre part à quelque chose, nous dit le Petit Robert (2009).

Participer, c’est faire des choses, certes, mais participer, des fois, c’est aussi ne rien faire (regarder, observer, écouter, sentir). Participer, c’est faire des choses avec, c’est faire des choses pour, c’est faire des choses sans les autres. Vous prenez ensuite chaque préposition et vous mixez. Participer, c’est faire des choses avec d’autres pour pouvoir les faire seul·e ensuite. Participer, c’est faire des choses seul·e avant de pouvoir les faire avec d’autres. Participer, c’est aussi certainement faire des choses contre. Participer, c’est donc plein de choses.

Participer, pour des petits, revêt aussi un sens particulier du fait qu’ils ne maîtrisent pas vraiment de nombreux aspects demandés pour l’exercice tel qu’on se l’imagine. Voici quelques exemples tout simples : sans langage ou avec peu de mots, comment donner son avis ? Comment saisir en tant qu’adulte ce que l’enfant comprend de la demande ? Au-delà de la parole et de la compréhension, il est clair qu’au niveau moteur, certaines requêtes sont ­terriblement compliquées à réaliser pour des tout-petits. La participation ne peut s’exercer à tout prix, il s’agit d’être attentif·tive à l’environnement dans lequel elle s’accomplit et, notamment, il faut avoir une bonne connaissance des compétences des enfants en général et bien sûr de celui-ci ou celle-ci en particulier.

Nous avons d’autre part pu constater que ces participations ne sont pas toujours de même nature et nous en avons identifié plusieurs types : participation citoyenne, participation-apprentissage (exercice), participation pédagogique, participation-régulation, participation-imitation.

Dans leur compilation, les éducatrices ont mis en mots ces différentes participations, ou plutôt ces invitations à participation comme l’a mentionné l’une d’elles.

Le moment des repas

Ce moment semble bien se prêter à participation. Cette activité quotidienne, vécue également en famille, est bien connue de toutes et tous. Cependant, ce qui se fait en termes de participation dans un lieu ne se fait pas forcément dans l’autre. Manger seul·e, tenir sa cuillère, boire au verre, pouvoir monter et descendre de sa chaise seul·e par exemple, varient suivant les enfants et leur famille.

Dans les Centres de vie enfantine (CVE), une valeur-phare est l’autonomie. Amener et encourager les enfants « à faire seul·e » est une sorte d’évidence.

Mettre la table ou du moins aider à mettre la table du petit-déjeuner, se servir seul·e de l’eau ou des plats, débarrasser son verre et son assiette, mettre les aliments dans les poubelles prévues à cet effet : composter, sensibiliser au recyclage, etc., sont vraiment des classiques en crèche.

Parfois, la participation doit plutôt être réfrénée tant le plaisir de se servir seul·e, ou de porter les plats est grand.

Nous pouvons, dès lors, parler d’une participation pédagogique telle que l’entend Louviot (ibid., p. 4), même si son propos concerne l’école : « La participation pédagogique pour sa part concerne particulièrement les situations permettant à l’élève d’être actif dans les apprentissages qu’il est amené à réaliser et de s’investir dans leur élaboration (…). »

Une éducatrice des trotteurs a développé dans un court texte ce qu’elle perçoit pendant ce moment des repas et cela dépasse allègrement la participation pédagogique :

« A la fin des repas, nous proposons aux enfants de débarrasser leur assiette et leurs services sur un chariot. En plus de la participation aux rangements, cela leur permet d’avoir un moment en mouvement durant ce temps qui peut paraître long pour certain·es (ils ont entre 18 mois et 36 mois).

De plus, les “plus à l’aise” vont pouvoir débarrasser les grands plats communs ou aider les plus petits qui ont de la peine à réaliser la tâche (ou faire à leur place). Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : s’adapter aux rythmes de chacun (petits et grands mangeurs), faire patienter les “rapides”, “tenir” la table (éviter que tout le monde se lève et parte aux quatre coins de la garderie), leur faire découvrir des saveurs (nouvelles ou connues), tout en gardant une ambiance conviviale ! C’est là où la participation des enfants lors des rangements apaise, fait patienter, change les idées, permet de l’entraide entre pair·es et nous aide. Il faut encore relever que le personnel de maison étant souvent dans les parages, cela crée une jolie dynamique où chacun·e met la main à la pâte, observe et reconnaît le travail accompli. »

Nous voyons bien ici comment une participation citoyenne se dessine : participer au bon déroulement d’un moment commun, en rangeant, en aidant, en recyclant, en étant « partie prenante » d’un moment, d’un dessein commun.

Nous pouvons envisager que, dans les différences entre ce qui se fait dans l’espace privé (famille, dont les éducs ne savent rien parfois) et l’espace public (la garderie, où des valeurs collectives sont véhiculées), se travaille pour et par les enfants un espace « entre-deux » où, petit à petit, s’exercent des participations. Breviglieri (ibid., p. 108) parle d’un espace participatif qui n’apparaîtrait pas à l’enfant comme « un milieu coupé de son espace proximal et habité », mais plutôt comme « une étendue transitionnelle où il cherche à déformer les sphères de familiarité pratique qui composent son monde usuel, transformant son mode d’existence qui s’imprègne progressivement de présence et de valeurs publiques ».

Chez les plus petits (secteur des bébés), la professionnelle pointe de « jolies petites » participations.

L’observation professionnelle – outil de travail indispensable – nous permet de mieux comprendre les enfants afin d’ajuster nos pratiques et nos postures. La volonté de l’enfant d’être acteur lors du moment des repas s’observe quotidiennement, notamment par son intérêt à se nourrir seul (à l’aide de ses doigts, d’une cuillère, etc.). Etre à l’écoute de celle / celui qui communique sa faim ou qui n’a plus envie de manger favorise également une participation active.

Selon Guinchard Hayward, Ràkòczy, Despond Theurillat (op. cit.), « l’objectif est d’offrir à l’enfant la possibilité d’agir et non de subir, c’est-à-dire de prendre part activement aux faits et aux événements qui le concernent lors des soins, des repas et des jeux ».

Une observation fine permet également de repérer l’anticipation d’un geste connu et la coopération d’un enfant qui avance sa tête lorsque l’adulte lui met la bavette.

A ce propos, les mêmes auteures précisent que « dans la pratique, pour participer, l’enfant doit pouvoir anticiper ».

Les enfants sont particulièrement réceptifs aux rituels tels que : mettre la lingette et la bavette dans la corbeille à la fin du repas, se nettoyer seul le visage et les mains, ou encore déposer leurs biberons dans un bac. Agir sur l’environnement permet aux professionnelles d’offrir un espace de décision aux enfants (en mettant par exemple à disposition des contenants au lieu de reprendre les ustensiles de leurs mains).

Frund (2008)[8] décrit que « les gestes et les comportements des adultes sont pensés pour favoriser la capacité des enfants, dès le plus jeune âge, à prendre part et à mener à bien des initiatives propres liées à leur motricité, aux diverses fonctions de leur corps, à la gestion de leur repos, à l’exploration ».

Soutenir l’autonomie repose sur la qualité de la présence des professionnel·les ainsi que sur le respect des rythmes individuels et des préférences des enfants. La professionnelle observe et décode les signaux émis par chacun·e. Au-delà de montrer ou de stimuler, il s’agit davantage de créer les conditions favorisant les expérimentations et les prises d’initiatives.

Le moment de la sieste… Les moments de rangement

Cet autre temps familier des enfants est aussi propice à participation. Porter les matelas et les sacs de sieste pour les ranger à la fin du repos est évoqué, puisque c’est régulièrement sollicité. Reconnaître les emplacements du matériel, déplacer quelque chose d’encombrant, aider à la remise en état de la salle est du « vrai » travail, mais qui s’effectue sous une forme ludique, sans contrainte.

Les enfants apprécient souvent de donner un coup de main.

Dans le groupe des trotteurs, la collègue explique :

«Lors de la préparation de la sieste, une éducatrice met les doudous, aménage lespace. Il arrive quun (ou plusieurs) enfant(s) participe(nt) à ce moment. Cette aide permet de valoriser le savoir-faire de lenfant (il·elle reconnaît les doudous des autres). Cela lui donne une place, une responsabilité. Cette activité peut aussi apaiser le moment des changes (beaucoup d’enfants sont à la “salle de bains, il y a souvent de lattente), qui peut être tendu. Cela désengorge les espaces (salle de bains, etc.). Cela peut nous aider (certains sont vraiment experts des doudous) et, certaines fois, cela peut compliquer le travail (les doudous pas à la bonne place), mais c’est en expérimentant, répétant que l’enfant apprendra. »

Elle ajoute encore :

« Si on se tient au cahier des charges, ce n’est pas une tâche demandée (ranger les matelas) à l’équipe éducative. Toutefois, dans mon secteur, c’est une action que nous réalisons au fur et à mesure que les enfants se réveillent (sauf imprévu). Action à laquelle je fais participer les enfants, soit lors du lever ou à la fin de la sieste, avec un plus grand groupe. Les enfants apprécient ce moment, ils collaborent avec plaisir. Le personnel de maison est ravi de cette aide et les relations s’en ressentent. Se retrouver ensemble autour d’une participation commune, “faire ensemble” pour pouvoir bien “vivre ensemble”.

C’est dans ces moments, où selon moi, on touche des valeurs citoyennes autour du partage, de l’entraide. Pouvoir montrer aux enfants que, grâce à leurs participations, ils rendent une tâche bien plus légère et agréable. »

Au-delà d’une participation pédagogique et citoyenne, des participations-imitations et d’autres permettant de s’exercer sont à mentionner. A ce propos, nous pourrions sûrement parler de « participation-apprentissage ».

«Je trouve que leffet de groupe a une forte influence par rapport à ce thème. Tant chez les enfants que chez les adultes. Pour les enfants, je peux certifier que l’imitation joue un grand rôle dans la participation. Ce qui est bénéfique pour tout le monde. C’est cyclique ! Un jour, un enfant débarrasse la table, il est valorisé. Le lendemain, c’est cet enfant observateur qui va s’aventurer pour débarrasser les plats et va être reconnu dans son acte, etc. »

Concernant les moments de rangement, une éducatrice des moyens précise combien il est nécessaire d’avoir une bonne organisation et des repères (photos / étiquettes permettant de ranger toujours au même emplacement) pour faciliter la participation des enfants. Ces aménagements sont simples mais utiles. Chez les tout-petits, cela permet à l’enfant de devenir alors acteur de son jeu et de ses explorations. A sa manière et à son rythme par une participation active ou par l’observation, il parvient à demander un jouet / une chanson (pointer du doigt, nommer), il aide à ranger les jeux et la salle (porter, remettre dans les bacs), etc.

Cet accompagnement à la participation est favorisé par des interventions indirectes comme la réflexion autour de l’aménagement des espaces. Une importance est donnée aux rituels, à l’anticipation, à l’observation, à la connaissance des enfants ainsi qu’à la verbalisation.

Nous retrouvons dans les propos de l’éducatrice des trotteurs cette sensibilité citoyenne :

« Participer au rangement du matériel, des espaces communs tout en sensibilisant au travail des autres personnes de la structure (personnel de maison et de cuisine), prépare déjà à ce que nous mettons sous le terme participation citoyenne. Passer un coup de balai sous les tables après une activité, les inciter à utiliser la brosse et la balayette, etc. Les accompagner, de manière ludique, à ranger les espaces et expliquer pourquoi. Dans un collectif, comment doit-on faire pour que le partage des espaces se fasse sereinement ? Chacun vit dans ces lieux et doit prendre soin de les laisser accueillants. »

Le moment des soins

Dans le groupe des bébés, la demande ou plutôt l’attente (dans le sens de laisser à l’enfant le temps de faire lui-même les gestes) de participation des enfants lors du moment des soins est rapporté : tendre le bras pour enfiler le pull, lever ou pousser les jambes pour mettre le collant ou les pantalons, essayer de monter ou de descendre une culotte, etc.

L’éducatrice de la nurserie repère aussi des participations insolites : elle trouve qu’un enfant qui manifeste sa fatigue participe à sa manière pour faire comprendre à la personne qui s’occupe de lui son besoin de sommeil, de même qu’un autre signalant sa préférence à jouer encore un moment.

Des liens forts entre participation et autonomie ou indépendance sont tissés.

Concernant le moment des soins, Guinchard Hayward, Ràkòczy, Despond Theurillat (op. cit.) soulignent encore : « Il est important que, lors des soins, l’enfant puisse choisir sa posture, et soit libre de se mouvoir, d’être actif, de participer ou non », et elles précisent que « lorsque l’enfant est accueilli dans ses initiatives, reconnu dans ses capacités, il participe ».

Pour toutes et tous, il est important de demander aux enfants d’essayer / de commencer : «On est là si besoin, tu peux demander de laide.» Il y a toujours une grande évolution observée durant l’année.

Les moments d’entraide et / ou de réparation

Les éducatrices ont toutes nommé des participations spontanées des enfants ou effectuées sur demande lors de ces moments plus difficiles : difficulté à s’habiller, chutes, pleurs, casses diverses, tristesse, fatigue, retour du soir. Nous pouvons ici parler de « participation-régulation ».

Ces divers élans participatifs de la part des enfants mettent en lumière les multiples compétences sociales et affectives dont ils disposent. Nous pouvons régulièrement observer un enfant qui, spontanément ou sur demande, aide un autre lors du déshabillage / habillage pour la sieste, pour aller se balader, ou encore pour ranger les jeux. De même, il est fréquent qu’un enfant cherche à en consoler un autre à travers un geste affectueux ou à le réconforter en apportant son doudou, sa lolette ou son biberon. « Lorsque l’enfant, en nous entendant parler, apporte cet objet recherché, c’est là où je me dis que la participation est déjà bien ancrée et fait partie des codes de vie du CVE. »

Ou encore, il est fait mention de celle / celui qui accueille les familles à leur arrivée et qui va signifier aux enfants le retour de leurs parents, etc.

Une autre professionnelle repère de la participation lorsque l’enfant est capable de « réparer » un accident, une bêtise. Parfois, cela se fait de manière « naturelle », d’autres fois, ce sera à partir de l’impulsion des éducs qui lui demandent de ramasser, de sécher, de remettre en place, etc.

Le vivre ensemble et le bien-être commun sont déjà bien présents dans ces moments. Que ce soit entre enfants, pour les enfants ou, de manière plus large, pour le bien-être de l’institution. La capacité des tout-petits à aider l’autre, les autres est palpable dès le plus jeune âge et elle est mise en valeur par les éducs.

« La participation permet, selon moi, à l’enfant de comprendre son monde. Entrevoir les différents enjeux et rôles de chacun.

Par exemple, enlever ses chaussures pleines de terre en entrant dans le CVE, pour ne pas salir le sol qui vient d’être nettoyé, c’est reconnaître le travail du personnel de maison, le valoriser. Se rendre compte de ce qui se passe autour de nous et de l’importance du travail de chacun. Découverte du “travail de l’ombre”, tout ce qui est mis en place, presque de manière invisible, pour qu’une journée se déroule bien. »

Breviglieri (op. cit., p. 115) l’évoque ainsi : « Mais l’élan participatif ne tient pas seulement à cette dimension de la volonté de vivre ensemble. Sur un même plan fondamental et intuitif, il puise aussi au niveau d’une éthique élémentaire d’où s’élève la question du souci de vivre bien. »

Les mots de la fin

Pour Breviglieri (ibid., p. 110), participer ce n’est pas seulement prendre part mais aussi « être pris par ». Il précise qu’il s’agit « de ne pas limiter l’expérience participative à une projection intentionnelle de valeurs sur le monde, et à remonter jusqu’à la dimension passive de la réception et de son expression sensible qui, en un sens, aménagent déjà une base de partage et un sol commun ». Pour les jeunes enfants, il nous paraît évident qu’avant de pouvoir prendre part, ils « sont pris par ». Ils sont de vraies éponges des ambiances et des atmosphères, cela même avant l’acquisition du langage et la compréhension cognitive. Les éducs en sont bien conscient·es, mais, peut-être parfois est-il plus facile de privilégier une réflexion en lien avec l’espace fonctionnel des coins jeux (des aspects plus organisationnels), que de se soucier à chaque instant du climat dans lequel se déroule la vie au quotidien.

Breviglieri dit encore (ibid.) que « concevoir un espace participatif pour l’enfant, c’est donc d’abord donner de l’importance aux impressions d’ambiances que cet espace recèle, tout en prêtant attention à cette intense activité corporelle de flairage à laquelle il se livre pour s’en accommoder et s’y fondre ».

A leur manière, toutes les professionnelles interrogées ont démontré un réel souci de bien faire pendant ces moments participatifs.

« Quand je sollicite une participation, je dois m’adapter à là où en est l’enfant dans son développement, ses compétences.

J’essaie de valoriser ce qui fonctionne bien, les évolutions.

Je suis soucieuse de montrer que c’est possible pour les plus petits : “Toi aussi, tu y arriveras par toi-même.”

Je fais attention à ne pas rester sur un échec, je cherche à l’utiliser pour rebondir, à trouver d’autres astuces / ressources pour y arriver.

C’est là où je trouve intéressant d’avoir des groupes verticaux et que chacun puisse avoir cette place d’être l’aidant et d’être aidé.

C’est un travail permanent d’équilibriste : observations, connaissance de chaque enfant, ne pas le mettre dans une position d’échec. C’est aussi un apprentissage pour nous, d’essai-erreur, de va-et-vient. Au quotidien, leur participation est une véritable aide. De petites tâches effectuées par leurs soins, rendent mon travail plus léger et fluide (ne serait-ce qu’éviter de me lever en pleine histoire pour aller chercher un doudou). Alors certes, ce n’est pas la première raison qui fait que je travaille ainsi, mais c’est une raison bien valable et je suis persuadée qu’ils ressentent aussi ma légèreté dans le travail.

J’essaie de respecter les envies de chacun, ne pas forcer mais proposer, dans l’idée de favoriser la négociation. Je tente de garder le côté ludique en tête.

Cela peut vouloir dire être créative quand je propose une participation ou une aide et que plusieurs enfants veulent la réaliser. Il faut trouver des astuces pour contenter tout le monde. C’est aussi un moyen pour travailler sur les frustrations.

Je trouve également que l’apprentissage entre pair·es est beaucoup plus efficace, rapide que lorsque c’est l’adulte qui explique.

Il est clair que les participations des enfants ne sont pas établies. Elles doivent entrer dans l’organisation des professionnel·les, de la routine et non inversement : “Je ne me dis pas : il faut qu’il y ait des tâches” ; “je ne vais pas attendre l’arrivée des enfants pour mettre la table par exemple.”

Il s’agit aussi de favoriser une dynamique sereine en évitant que la participation devienne problématique ou conflictuelle (bagarre pour porter, pour servir avec un seul pot d’eau, etc.).

Une éducatrice rapporte encore que «la participation est affectée par les activités dirigées. Si, lors d’une activité, l’éduc n’a que le but ou l’objectif en tête et pas le cheminement, alors on perd la participation. Il est important de laisser l’enfant participer à sa façon. Voire même de le laisser ne pas participer. »

La participation ne doit pas être de l’ordre de l’injonction et cela est clairement ressorti des propos recueillis. A aucun moment, la participation n’est évoquée comme une obligation. Si c’était le cas, alors nous pourrions tomber dans les travers exposés par Brougère (pp. 62-63)[9] dans un article concernant l’apprentissage formel et informel :

« Les Kindergarten doivent favoriser la capacité des enfants d’apprendre dans des environnements formels et informels d’apprentissage. Les environnements formels sont organisés et guidés par le personnel. Les environnements informels d’apprentissage sont fortement liés aux activités quotidiennes, aux situations ponctuelles qui se produisent pendant le jeu et les différentes interactions avec les adultes ou les enfants.

(…) Il y a là un défi complexe, quelque chose qui relève de l’oxymore et qui risque à tout moment de sombrer dans la formalisation éducative, voire scolaire (le jeu [la participation] devient un outil éducatif comme un autre, le site internet prend une dimension didactique, etc.), ou dans l’invisibilité totale, l’action éducative se dissout dans une relation (parentale, amicale, etc.) qui perd toute visibilité mais, à ce moment, on se retrouve dans la logique de l’apprentissage en situation informelle. Il est logique que cette éducation qui se situe sur la crête entre formalité et informalité, diffusion et spécialisation, puisse tomber très facilement d’un côté ou de l’autre. Mais c’est cette fragilité structurale qui fait la richesse de situations qui sont dans un entre-deux et de ce fait peu étudiées. »

Nous tenons à souligner que ces microparticipations sont essentielles pour le vivre ensemble au quotidien et elles sont le signe d’une volonté éducative bien précise ; elles sont porteuses d’enjeux démocratiques, voire d’enjeux politico-éducatifs pour celles et ceux qui travaillent, on le perçoit. Mais de quoi cela est-il fait ? Il existe sûrement une volonté d’œuvrer contre le mépris social, contre les privilèges statutaires, contre les privilèges de genre, contre les privilèges de race, etc. Cela se traduit dans les actes par une capacité à prendre en compte l’autre, sa parole, même celle des petits, et la capacité à tenir compte du travail des autres, de tous les autres.

Elles sont « investies » différemment suivant les éducs. Les projets pédagogiques des CVE ou les missions en vigueur ne garantissent aucunement une sensibilité à cette notion.

Karina Kühni, Séverine Bovey
et Florine Laeser

 

[1]-Nguyen, Alexandra (2022), communication personnelle, in 6e Colloque international de Didactique professionnelle (RPDP 2022), Entre travail et formation : regards croisés sur les questions actuelles de la formation professionnelle. HETSL (Haute école de travail social et de la santé Lausanne).

[2]-Binet, Michel ; Rullac, Stéphane ; Pinto, Tânia (2020), La co-enquête microethnographique : Un moteur de la scientifisation du travail social. Lusiada. Intervenção Social, Lisboa, Nos 55 / 56.

[3]-Voir à ce sujet Fracheboud, Michelle (2022) « Des enfants votent et autres petites récupérations néolibérales » in : Revue [petite] enfance N° 137.

[4]-Breviglieri, Marc (2014-2), « La vie publique de l’enfant » in : Revue Participation.

[5]-Louviot, Maude (2019), « La participation des enfants à l’école sous le prisme des droits de l’enfant » in : Education et socialisation N° 53.

[6]-Guinchard Hayward, Fabienne ; Ràkòczy, Agnès ; Despond Theurillat, Véronique (2014), « La participation de l’enfant : une notion à interroger », in : Accueil de la petite enfance, comprendre pour agir, sous la direction de Meyer, Gil et Spack, Annelyse, Erès, France.

[7]-Pour en savoir plus sur cette rubrique, voir Nos 135, 136, 137 de la Revue [petite] enfance.

[8]-Frund, Robert, (2008), L’activité professionnelle : compétences visibles et invisibles, Lausanne, Editions EESP.

[9]-Brougère, Gilles (2016), « De l’apprentissage diffus ou informel à l’éducation diffuse ou informelle » in : Le Télémaque, N° 49, pp 51-63.

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