Caroline et Alan

Voici deux exemples des situations auxquelles je suis confronté, en tant que directeur d’institution et qui montrent que les structures d’accueil peuvent jouer un rôle dans le basculement d’une famille dans la précarité ou, au contraire, la soutenir lors des moments de fragilité.

Un matin, une maman en recherche d’emploi vient dans mon bureau et me demande d’accueillir sa fille Caroline[1] à plein temps, car elle a trouvé du travail. Je regarde le planning du secteur concerné, je m’aperçois que le secteur est complet et qu’il sera difficile de répondre positivement à cette demande. Commence alors une discussion, et je perçois les enjeux de cette situation. Si cette maman n’obtient pas cette place, elle ne pourra pas obtenir ce travail et donc sa situation financière, mais aussi sociale va se dégrader. Je suis conscient que je ne suis pas le sauveur, mais ma conscience « humaine » me murmure de réfléchir à une solution, de sortir du confort de dire simplement qu’il n’y a pas de place et appliquer strictement le règlement. Je demande à la maman de me laisser l’après-midi pour chercher une solution. Je commence par réfléchir aux possibilités qui peuvent être envisagées : demander à l’équipe d’accepter un enfant en plus et faire une demande de dérogation à l’autorité de surveillance par exemple. Et puis soudain, je me souviens qu’une autre famille du même groupe vient de me faire part d’un changement dans leur organisation professionnelle. Connaissant aussi leur situation, je décide de leur téléphoner et de leur expliquer la situation afin de savoir s’il y a une négociation possible concernant la fréquentation de leur enfant. Ces parents m’expliquent que leurs horaires actuels peuvent être modifiés. Ainsi en libérant des demi-journées, cela me permet de trouver des disponibilités et de répondre à la demande de la maman de Caroline. En côtoyant certaines familles qui vivent dans la précarité, j’ai compris qu’il est indispensable d’avoir une souplesse dans la gestion. En effet, un refus d’augmenter le pourcentage d’accueil peut les mettre en difficulté. Les familles sont de plus en plus confrontées à une vie professionnelle faite de changement, de hauts et de bas. Une personne trouvant un travail peut le perdre quelques semaines après, devoir accepter des changements d’horaire ou un pourcentage de travail différent. Cela entre en contradiction avec la logique des institutions qui se préoccupent avant tout de remplir au maximum les structures. La marge de manœuvre des directions devient de plus en plus étroite.

Voici une autre demande à laquelle j’ai été confronté : la maman d’Alan[2], un enfant accueilli dans l’institution où je travaille, me demande un rendez-vous pour m’exposer la situation qu’elle est en train de vivre dans son couple. Durant l’entretien, elle m’explique que le papa a quitté le domicile, il est parti à l’étranger et veut divorcer. Malheureusement, elle ne peut pas me fournir une convention de séparation, car elle doit faire les démarches auprès de la justice de paix. Elle me demande de prendre Alan à plein temps dès la rentrée d’août, et je l’accepte. Le service qui chapeaute la structure, prenant connaissance du dossier, refuse ma décision et me demande de diminuer le contrat, car celui-ci mentionne que le papa ne travaille pas. Devant mon insistance, et mes explications sur ce cas particulier, on me demande de fournir une preuve, un document officiel. La bonne foi de cette maman est remise en question. Il me faudra une bonne dose de ténacité pour faire entendre mon point de vue.

En tant que directeur, j’essaie de mettre au centre l’humain, la relation de confiance qui se crée avec les familles. Dans le premier exemple, c’est bien celle-ci qui permet qu’une famille accepte de s’organiser différemment afin que je puisse répondre à la demande urgente d’une autre. Dans la seconde situation, c’est aussi cette relation de confiance qui permet à la maman de venir partager avec moi ces moments difficiles qu’elle est en train de vivre et qui perturbe l’équilibre de la famille à tous les niveaux. Il n’est pas possible de demander aux personnes de nous faire confiance sans réciprocité. Je constate que celle-ci est de plus en plus mise à mal, tant dans le lien avec les familles, qu’entre la direction et les instances supérieures. Que serait-il advenu pour ces familles avec une application stricte de ces règles ? Comment ne pas penser aussi aux effets sur les enfants d’un refus d’entrer en matière augmentant l’angoisse et l’insécurité des parents ? Le système, qui se veut efficient, devient à mon avis, malade de sa propre gestion et il est de plus en plus difficile de parvenir, comme dans cette situation, à ce que, de temps en temps, le bon sens prime sur le règlement.

 

[1]-Prénom fictif.

[2]-Prénom fictif.

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