Ernest

Ernest arrive chez les trotteurs à un peu moins de 2 ans et demi. Il a un début de vie qui n’est pas tout simple. Né prématuré, il passe six mois à l’hôpital (pour cause de malformation), puis six mois dans un foyer. Il devra y suivre un sevrage. L’autorité parentale est déléguée au service chargé de la protection de l’enfance, le papa a la garde. Des rencontres médiatisées[1] sont organisées avec la maman (qui souffre de problèmes psychiques).

Ernest a aussi une demi-sœur, Anaé, de quelques mois de moins que lui, qui vit à l’étranger avec sa maman. Anaé vient « à quinzaine » pendant deux semaines (garde alternée). Durant les visites d’Anaé, il y a les grands-parents paternels qui viennent aider. Ceux-ci habitent dans un pays frontalier. Le papa exerce une activité qualifiée dans le soin. Ernest est accueilli chez nous à 100 %. Il a différents suivis : neuro-réhabilitation, logopédie, suivi ophtalmologique. Sa santé physique est, aujourd’hui, stable.

La fragilité et l’instabilité de la maman d’Ernest donnent un caractère précaire à cette situation. Il n’y a pas de garantie sur la régularité de sa présence. D’ailleurs, durant la période où nous avons accueilli Ernest, les rencontres ont dû être interrompues, car la maman a vécu quelques épisodes complexes.

Du côté du papa, il n’y a pas non plus de certitude que « ça tienne » sur la durée. Il doit rendre des comptes à l’autorité de protection de l’enfance, car il n’a pas « toujours fait juste », ce n’est pas un long fleuve tranquille. Ces deux parents – à différents niveaux – ont une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Ils doivent « montrer patte blanche ».

Il y aurait de quoi juger, attendre au contour, stigmatiser. Et si ces parents, qui ne savent pas ou ne peuvent pas faire leur job, créent un futur adulte « pas sur les rails » ? Les « mauvais parents » font-ils des enfants « mal léchés » ? Quel sentiment de culpabilité on leur fait porter ! Et pourtant, penser que le parent est responsable de tout n’a cessé de croître. On peut le ressentir au détour d’un échange entre collègues, d’un sous-entendu.

Dans la réalité, ce n’est pas juste une question d’adulte qui peut ou veut faire son job de parent. Ce sont des questions collectives, politiques. Quels moyens peut-on mettre en place pour accompagner cet enfant dans la société, en collectivité, soutenir le travail parental, maintenir le lien, etc. ?

A notre niveau (en garderie), des moyens ont été mis en œuvre pour permettre la continuité du lien avec la maman. Un soutien a été octroyé, pour accompagner Ernest, chaque semaine, à « l’espace rencontres ». Des échanges avec l’assistante sociale ont été réalisés. Plusieurs rencontres (entretiens séparés) avec chaque parent ont été organisés durant l’année. La maman n’ayant pas le droit de venir voir son fils dans le lieu d’accueil, des albums ont été créés. Elle a pu y trouver des anecdotes et des photos de son fils en collectivité. Pouvoir maintenir le lien, partager l’enfance de son enfant est primordial pour ne pas se sentir mise de côté.

Et posées bout à bout, toutes ces activités – au quotidien et à côté – permettent de dire que le travail est bien fait, de dire que c’est du beau travail, et que la responsabilité d’offrir un environnement stable est collective. Dans cette situation, les ressources et les forces sont bien là : l’investissement du papa, l’envie de maintenir le lien de la maman, la présence des grands-parents paternels, la relation complice avec sa sœur, l’accueil au sein de la structure, les accompagnements multidisciplinaires autour d’Ernest. Avoir une lecture collective de la situation en portant l’attention sur ce que font les parents, plutôt que sur qui ils sont est décisif.

Et Ernest dans tout ça ? Eh bien, c’est un enfant joyeux, social, qui vit son enfance, qui est déterminé, joueur, entier. Ce qui est certain, c’est qu’il a de belles ressources en lui.

 

[1]-Boudarse, Khalid et Dodelin, Martine (2011), « De la visite médiatisée. Etude clinique », Dialogue (2011/3), pp. 139-152, la définissent ainsi : « La visite médiatisée (VM) est un dispositif autorisant la rencontre entre personnes, très souvent parent(s) et enfant(s), séparées par décision judiciaire, n’ayant pas le droit donc de se rencontrer en dehors d’un cadre dont les modalités et le fonctionnement sont garantis par des professionnels désignés. »

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